Crimes de sang

Crimes rituels : anamnèse d’une criminalité fétichiste liée au pouvoir politique au Gabon

Crimes rituels : anamnèse d’une criminalité fétichiste liée au pouvoir politique au Gabon
Une manifestation contre les crimes rituels à Libreville © 2019 D.R./Info241

Dans cette analyse, le chercheur en sociologie Toussaint Marlot Makosso Magagni revient pour les lecteurs d’Info241 sur la criminalité fétichiste que les autorités gabonaises refusent de nommer comme étant des crimes « rituels ». Levant le voile sur ces pratiques où des humains déciment d’autres humains pour des raisons de mysticisme, l’auteur s’emploie à démontrer la corrélation de ces crimes dits de « sang » en période électorale et la boulimie criminelle de certains responsables politiques, convaincus que leur pouvoir ne tient qu’à ces pratiques inhumaines d’un autre age.

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Par criminalité fétichiste, on entend cette forme de criminalité consistant à commettre des meurtres avec prélèvement d’organes à des fins fétichistes. Ces organes humains significativement appelés « pièces détachées » sont : langues, crânes, oreilles, yeux, oreilles, organes génitaux etc. Ils sont recherchés par leurs auteurs pour la fabrication des puissants fétiches.

Entre 2000 et 2015, on a pu dénombrer au Gabon 418 cas de crimes de ce type. Soit une moyenne de 28 crimes par an contre seulement 12 personnes condamnées par la justice pour ces faits. La réalité empirique démontre l’augmentation de manière paroxystique du nombre de victimes pendant les années électorales.

Ainsi, l’on peut convenir que la criminalité fétichiste est structurellement liée au pouvoir politique et aux privilèges auxquels ceux-ci donnent droit, notamment le privilège de l’impunité juridique des commanditaires.

1. Historicité et évolution du phénomène

Le phénomène de la criminalité fétichiste n’est plus à démontrer sur le sol gabonais. Le sacrifice humain est une vieille pratique universelle de peuples animistes. Presque tous les peuples du monde y ont eu recours à un moment ou à un autre de leur histoire.

Au Gabon, la criminalité fétichiste existe bien avant les années 1930. Mais c’est entre 1970 et 1980 qu’elle va connaître une évolution fulgurante. Médiatisée à ces périodes par exemple à Mayumba par l’affaire Koumba Maberi et l’affaire du bébé fumé. A Tchibanga, par l’affaire Tchibanda Moudaki. Alors qu’à Lambaréné, on parle de l’affaire Kou-Magang. A Libreville, c’est l’affaire Mba Ntem et la voiture-noire qui créa une psychose collective auprès des populations.

2. Les différents types de criminalité fétichiste

Il existe plusieurs types de criminalité fétichiste : le sacrifice humain, la profanation des tombes, les viols et incestes à caractère rituel :

  • Le sacrifice humain : Il s’agit souvent d’assassinats, de meurtres accompagnés le plus souvent de prélèvement de certains organes qui sont prétendument censés avoir des pouvoirs mystiques ;
  • La profanation des tombes  : Il s’agit de restes humains récupérés sur les corps des défunts servant à la confection des potions, de fétiches et autres talismans ;
  • Les viols et incestes à caractère rituel  : Ils sont perpétrés sur recommandation et en vue de bénéficier des faveurs d’un groupe, d’une confrérie etc.

3. Les agents de la mort

La criminalité fétichiste est organisée autour d’un réseau occulte qui se constitue de :

  • Le sorcier : il se trouve au cœur de cette pratique criminalisante. C’est lui qui conseille, dirige, oriente, fabrique le produit, transforme la marchandise en fétiche ;
  • Le commanditaire : C’est le passeur de commandes. Avide de pouvoirs mystiques, il est à la recherche d’honneur, du prestige, de la puissance et croit aux forces surnaturelles comme pouvant lui garantir ces succès ;
  • L’exécutant : C’est l’agent de la mort fétichiste et homme de main. Le plus souvent analphabète et déscolarisé, il vit dans une forte précarité sociale. Il est souvent désavoué par les siens et dépendant parfois d’alcools et autres drogues.

4. Les organes et leurs fonctions

Les organes humains sont recherchés par ceux qui pratiquent la criminalité fétichiste pour leurs valeurs prétendument mystiques :

  • le crâne : il symbolise la sagesse, la loyauté ;
  • les seins : ils apportent l’abondance des biens recherchés, la richesse assurée, la jouissance des faveurs sollicitées ;
  • le sexe : il symbolise la domination des collaborateurs, la jouissance sexuelle très forte et l’autorité dans le milieu ;
  • la langue : elle permet d’envoûter et de manipuler les populations. Mais aussi le mensonge et le pouvoir d’haranguer les foules.

5. La corrélation entre criminalité fétichiste et impuissance politique

Le fléau de la criminalité fétichiste au Gabon se situe dans l’écart entre d’une part, la réalité physique des personnes mises à mort de façon « cruelle », dont les organes sont prélevés à « vif » à des fins fétichistes ; et d’autre part, par la négation de cette réalité par les autorités gabonaises qui préfèrent parler de « crime de sang ».

Aussi, pourquoi la criminalité fétichiste fondée sur la violence de l’imaginaire de la croyance mystique est-elle liée à l’activité politique ? De plus, la corrélation entre la criminalité fétichiste et l’activité politique s’explique par l’impuissance politique. Cette dernière peut être définit comme le fait que des personnes soient tuées, leurs organes prélevés à vif et utilisés comme moyens fétichistes à des fins de puissance politique.

6. La parentèle politique et le jeu de séduction

La criminalité fétichiste liée aux logiques traditionnelles, est en partie liée à la sorcellerie. Et la sorcellerie, une question de transmission familiale culturelle. Le fait qu’il y ait des « pères », des « mères », des « grands frères » de la nation comme « tara », « maman », « yaya », « nkuluntu », « zafè » etc n’est qu’un jeu d’apparence et d’illusion car c’est une « réparentélisation » du champ politique sur le mode du champ lignager. La parentèle politique à travers le lignage fonctionne sur la fiction des liens de sang. C’est donc la parentèle lignagère qui traduit la violence de la sorcellerie : le sorcier est d’abord un parent.

Le champ politique renferme des rapports à la séduction. Il se caractérise par le fait que dans une situation de modernité, les acteurs en concurrence doivent savoir séduire pour conquérir et conserver les postes de pouvoir.

Les mandataires n’aiment pas les mandants mais ils aiment argent et pouvoir. Par conséquent, il y a un lien d’interdépendance entre la criminalité fétichiste et l’impuissance politique parce que la criminalité fétichiste renvoie aux meurtres, aux assassinats, aux sacrifices avec prélèvement d’organes à des fins fétichistes.

Et l’impuissance politique quant à lui se traduit non seulement par des meurtres et la collecte d’organes ainsi que la « cruauté » qui les entoure mais aussi l’incapacité, l’impossibilité de conquérir et de conserver le pouvoir sans avoir recours aux pratiques occultes.

Toussaint Marlot Makosso Magagni, titulaire d’un Master 2 en sociologie de l’État, Pouvoir et Institution (politique)

@info241.com
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