Scandale

Le quotidien Libération et l’arnaque de Libreville : l’exigence d’une réparation

Le quotidien <i>Libération</i> et l’arnaque de Libreville : l’exigence d’une réparation
Le quotidien Libération et l’arnaque de Libreville : l’exigence d’une réparation © 2019 D.R./Info241

Dans cette tribune, l’universitaire gabonais Marc Mvé Bekale revient le scandale du « forum citoyen » du quotidien français Libération, organisé en octobre 2015 à Libreville. Un forum de plus financé par la Présidence gabonaise à hauteur de 3,5 millions d’euros soit 2,3 milliards de nos francs, entièrement versés aux actionnaires du quotidien pour leur précieuse aide à redorer le blason d’Ali Bongo. Une entourloupe financière contre laquelle, l’essayiste demande par ailleurs réparation. Lecture.

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Pays doté de ressources naturelles abondantes, dont la majorité de la population croupit dans la misère, le Gabon a toujours été une vache à lait pour les hommes politiques et les hommes d’affaires français. Il en a été ainsi depuis Jacques Foccart en passant par Jacques Chirac et Nicolas Sarkozy : des valises d’argent acheminées du Gabon vers la France pour la consolidation et la préservation du régime d’Omar Bongo.

En 2009, est arrivé Ali Bongo. A l’instar de son père, ce dernier s’imposa aux Gabonais par un casse électoral, perpétué avec le soutien du gouvernement de Nicolas Sarkozy. Pour se laver du pêché d’imposture, Ali Bongo entreprit, dès 2012, une opération de ravalement de son image abîmée par un pouvoir usurpé. A coup de tapage dans les médias internationaux comme CNN, Ali Bongo passa une première commande à son ami français, le publicitaire Richard Attias, pour l’organisation d’un évènement dénommé New York Forum Africa. Il y eut quatre éditions, qui constituèrent un véritable gouffre financier sans le moindre bénéfice pour le peuple gabonais.

Une banderole géante érigée à Libreville durant ce forum

Dans une étude synthétisée sur son blog, l’économiste Mays Mouissi estima le coût de l’édition de 2015 à 4,75 milliards de francs CFA (soit environ 7,3 millions d’euros). Richard Attias partit sur un contentieux de 400 millions francs FCA, réclamés à l’Etat gabonais. La même année, Laurent Joffrin prit le relais. Il accepta l’organisation, du 9 au 10 juin, d’un forum consacré non plus à la promotion des affaires au Gabon mais, d’après sa déclaration, au « pluralisme d’idées qui fera évoluer les choses et fera en sorte que la situation sur le plan politique, social, et économique s’améliore. »

Suite à une enquête préliminaire du parquet de Paris, les journalistes de Libération ont crié à la trahison, jouent les vierges effarouchées. N’étaient-ils pas au courant des doutes émis quant à la pertinence et au bénéfice économique du New York Forum Africa ? Il était unanimement établi que cette rencontre hypermédiatisée, avec des annonces à la chaîne de télévision CNN, visait uniquement au toilettage du visage antidémocrate d’Ali Bongo tout en enrichissant un homme d’affaires à la moralité douteuse.

Les journalistes de Libération ne pouvaient donc pas ignorer les enjeux financiers de cette opération à un moment où leur quotidien était au bord de la faillite. Le 2 février 2014, Le Figaro économie titrait : « Course contre la montre pour la survie de Libération ». Nicolas Demorand, aujourd’hui retourné à France Inter, fit les frais de la crise du journal qu’il dirigeait à l’époque. Pour la survie de Libé, son successeur, Laurent Joffrin, choisit de pactiser avec le diable, de vendre son âme à celui qui a acculé la population gabonaise à la pauvreté, la prive de son droit de décider de son destin politique.

Laurent Joffrin, en première ligne de ce scandale

Plus qu’une « erreur », comme il a bien voulu l’admettre, vu à l’aune de la détresse sociale africaine, le patron de Libération a été complice d’un crime financier au même titre que les hommes d’affaires et hommes politiques véreux et vénaux qu’il n’a eu de cesse de dénoncer à longueur d’éditoriaux.

Pour se défendre, Laurent Joffrin nous a servi des foutaises. Son forum, affirme-t-il, n’avait rien d’une opération à la gloire d’Ali Bongo : « Le caractère libre et contradictoire du forum ne souffre d’aucune contestation... il s’est déroulé dans des conditions très satisfaisantes... Libération a souverainement décidé des thèmes abordés, les tables rondes sont toutes plurielles et les représentants du gouvernement sont des participants parmi d’autres, ni plus ni moins. »

En creux, Laurent Joffrin laisse croire que le caractère contradictoire des échanges de même que la diversité des intervenants, issus de tous bords politiques, attestent de sa contribution à l’avancement de l’expression démocratique au Gabon. Au-delà de ses relents paternalistes et néo-colonialistes, ce syllogisme montre à quel point l’appât du gain fait de Joffrin une marionnette aux mains d’Ali Bongo, absout ce dernier des crimes d’imposture et de forfaiture.

Une fois oint grâce à Libération, Ali Bongo pouvait se pavaner dans son nouveau costume de dirigeant démocrate avant de réaliser son second hold-up électoral en 2016. Est-il d’ailleurs étonnant que le quotidien Libération soit resté très discret sur cette fausse réélection ?

Si la légitimité du régime d’Ali Bongo est incontestable, pourquoi avoir fait appel à un patron de presse étranger pour l’attester ? Il y a bien sûr le complexe du colonisé que traînent beaucoup de dirigeants africains, qui faisait dire à Omar Bongo que l’Afrique était un cheval monté par le jockey France (cf. le livre d’entretiens Blanc comme nègre). Organiser des débats afin de démontrer la nature démocratique du régime gabonais : tel était l’enjeu de ce forum.

Ce dont des pays comme le Sénégal ou le Bénin, qui connaissent de véritables alternances démocratiques, n’ont pas besoin. Le directeur de Libération fait preuve d’un cynisme inouï lorsqu’il prétend participer au développement du Gabon en deux jours de bla-bla-bla, sachant que Richard Attias y a organisé, pendant cinq ans, un cirque médiatique sans le moindre retour sur investissement pour le pays.

La « diaspora » gabonaise est devenue très active en France. «  L’affaire de Libération » nous oblige. Il y a là un combat que nous pouvons gagner. Libération a souvent dénoncé la Françafrique et les « Biens mal acquis  ». Ce journal doit montrer l’exemple en remboursant une manne financière mal acquise, assimilable à un enrichissement sans cause. Des millions d’euros pour deux jours de causerie ! Cela relève de l’arnaque. Nous ne pouvons l’accepter.

Organisés en un collectif solide et déterminé, nous devons exiger réparation. Une telle démarche apparaît d’autant plus cohérente que les salarié.es de Libération ont voté, le lundi 2 avril, à 72, 8% une motion de défiance exigeant que « Toute la transparence soit faite sur les coulisses de l’opération, la destination des flux financiers et l’utilisation des bénéfices réalisés à l’occasion du forum de Libreville, afin de pouvoir envisager au mieux les modalités d’une réparation future. » [Je souligne] Il va de soi que le peuple gabonais est la grande victime de cette escroquerie. D’où la nécessité de nous impliquer dans cette affaire en collaborant avec les personnels du quotidien français.

Marc Mvé Bekale
Universitaire
Essayiste

@info241.com
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