Nécrologie

Décès de Jean de Dieu Moukagni Iwangou : la fin d’un destin politique et intellectuel hors du commun

Décès de Jean de Dieu Moukagni Iwangou : la fin d’un destin politique et intellectuel hors du commun
Décès de Jean de Dieu Moukagni Iwangou : la fin d’un destin politique et intellectuel hors du commun © 2025 D.R./Info241

Le Gabon a perdu ce samedi 1er novembre l’un de ses esprits les plus brillants. Jean de Dieu Moukagni Iwangou, ancien ministre de l’Enseignement supérieur et figure marquante de la vie politique nationale, est décédé à la clinique El Rapha de Libreville, des suites d’une longue maladie. Âgé de 66 ans, ce magistrat hors hiérarchie laisse derrière lui une empreinte indélébile, marquée à la fois par son intégrité, ses combats pour la justice et une trajectoire politique faite de convictions, de ruptures et de paradoxes.

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Selon des sources proches de la famille, l’ancien ministre luttait contre des ennuis de santé depuis plusieurs mois. Sa disparition suscite une vive émotion au sein du monde judiciaire, universitaire et politique. De Mouila à Libreville, les témoignages affluent pour saluer « un patriote rigoureux, un juriste de haut vol et un homme d’une rare probité intellectuelle  ». Il fut également vice-président de la Fedération gabonaise de football (Fegafoot).

Un magistrat devenu symbole de résistance politique

Magistrat hors hiérarchie, Jean de Dieu Moukagni Iwangou avait bâti sa réputation sur une connaissance fine du droit et une indépendance d’esprit inébranlable. Il fut, dans les années 1990, l’un des piliers de l’Union du peuple gabonais (UPG) aux côtés du charismatique Pierre Mamboundou. Juriste de formation, il en était le conseiller juridique et l’un des stratèges les plus écoutés.

itinéraire d’un homme d’État et d’un combattant du droit

Année Événement marquant
1959 Naissance à Mouila, dans la province de la Ngounié. Originaire du sud du pays, il y forge très tôt une réputation d’élève brillant et passionné de justice.
Années 1980 Entrée dans la magistrature gabonaise après des études de droit. Il gravit rapidement les échelons pour devenir magistrat hors hiérarchie , l’un des plus hauts grades du corps judiciaire.
Années 1990-2000 Proche du leader Pierre Mamboundou, il devient conseiller juridique de l’Union du peuple gabonais (UPG) . Défenseur acharné de la démocratie, il refuse à deux reprises d’intégrer un gouvernement d’Omar Bongo.
2012 Devient vice-président de la Fédération gabonaise de football (Fégafoot) . Il collabore à l’organisation de la CAN 2012, renforçant sa visibilité nationale.
2014 Radié de la magistrature pour incompatibilité entre ses fonctions politiques et son statut de magistrat , une décision jugée arbitraire par de nombreux juristes.
2016 Soutient Jean Ping lors de la présidentielle. Sa prestance et sa rigueur juridique en font l’un des piliers du camp de l’opposition face à Ali Bongo Ondimba.
2018-2020 Surprend en rejoignant le gouvernement Issoze Ngondet comme ministre de l’Enseignement supérieur, de la Recherche scientifique et du Transfert des technologies . Il explique ce choix par un « devoir de réconciliation nationale ».
2023 Après la chute d’Ali Bongo, il se retire de la vie politique active, affaibli par la maladie et des difficultés financières. Il confie vivre désormais « de la générosité des autres ».
Avril 2024 Participe au Dialogue national inclusif sous Brice Clotaire Oligui Nguema, au sein de la sous-commission « Droit, justice et libertés », où il plaide pour l’indépendance totale du pouvoir judiciaire.
1er novembre 2025 Décès à la clinique El Rapha de Libreville, à l’âge de 66 ans, des suites d’une longue maladie. La classe politique et le monde judiciaire lui rendent hommage.

À cette époque, il se distinguait déjà par sa capacité à conjuguer rigueur juridique et audace politique. Farouche opposant au système Bongo père et fils, il refusa à deux reprises d’entrer dans un gouvernement, d’abord sous Omar Bongo, puis sous son fils Ali. Ce refus d’accommodement lui valut l’admiration de nombreux Gabonais et la réputation d’un homme de principe, fidèle à ses idéaux démocratiques.

Radiation et humiliation politique

En 2014, son engagement politique lui coûta cher. Le régime d’Ali Bongo le radia de la magistrature par la main du ministre de la Justice de l’époque Seraphin Moundounga (actuel vice-président), au motif qu’il ne pouvait cumuler ses activités partisanes et son statut de haut fonctionnaire. Une décision qualifiée à l’époque d’« arbitraire » par plusieurs observateurs, qui virent dans cette radiation un règlement de comptes politique.

Un homme de convictions

« J’ai été puni pour avoir défendu mes convictions  », déclarait-il alors. Cette épreuve ne fit que renforcer son image d’opposant intègre. Pourtant, le destin allait le ramener, quelques années plus tard, au cœur même du pouvoir qu’il avait combattu. En 2018, il surprend en acceptant le portefeuille de ministre de l’Enseignement supérieur dans le gouvernement d’Emmanuel Issoze Ngondet, sous Ali Bongo Ondimba.

Un ralliement controversé, entre conviction et pragmatisme

Ce ralliement, perçu par certains comme une trahison, fut pour d’autres un geste de réconciliation politique. Lui-même affirmait vouloir œuvrer pour « l a stabilité et la reconstruction nationale après des années de fractures  ». Ce choix, à contre-courant, marqua le tournant de sa carrière. Il y vit la possibilité de poursuivre ses combats de l’intérieur, dans un contexte politique miné par la crise postélectorale de 2016.

L’ancien ministre d’Ali Bongo pourtant à l’origine de sa radiation de la magistrature

Mais son retour au pouvoir ne lui apporta ni réhabilitation ni reconnaissance durable. Marginalisé après 2020, Jean de Dieu Moukagni Iwangou s’éloigna progressivement de la scène publique, miné par la maladie et l’usure des luttes. Dans une rare interview, il confiait vivre « de la générosité de tout le monde  », révélant ainsi la solitude et la précarité d’un homme jadis au sommet.

Une voix respectée du Dialogue national inclusif

Malgré son état de santé fragile, il participa en avril 2024 au Dialogue national inclusif initié par le président Brice Clotaire Oligui Nguema. En tant que commissaire à la sous-commission « Droit, justice et libertés », il plaida avec force pour l’indépendance du pouvoir judiciaire. « Le chef de l’État ne peut garantir l’indépendance des magistrats ; ils doivent pouvoir se défendre eux-mêmes  », déclarait-il, fidèle à son idéal de séparation des pouvoirs.

Sa contribution au Dialogue fut saluée comme celle d’un sage revenu de tout, lucide sur les erreurs du passé mais résolument tourné vers la refondation de l’État. Son décès prive le pays d’une conscience juridique rare, d’un homme pour qui la dignité et la loi étaient indissociables.

Un héritage de droiture et de lucidité

De Mouila sa ville natale où il échouerait à se faire élire député à Libreville, nombreux sont ceux qui saluent aujourd’hui « l’héritage moral et intellectuel » de Jean de Dieu Moukagni Iwangou. Son parcours, jalonné de fidélités trahies et de combats courageux, raconte la complexité de la politique gabonaise moderne. Il incarne à la fois la rigueur du magistrat, le courage de l’opposant et la désillusion du serviteur de l’État. Son nom restera associé à une certaine idée du Gabon : celle d’un pays où la vérité et la justice devraient primer sur la peur et le calcul.

@info241.com
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