Portrait

Gaspar Yanga, l’esclave gabonais devenu héros de la résistance anti-coloniale aux Amériques

Gaspar Yanga, l’esclave gabonais devenu héros de la résistance anti-coloniale aux Amériques
Gaspar Yanga, l’esclave gabonais devenu héros de la résistance anti-coloniale aux Amériques © 2020 D.R./Info241

Au 16ème siècle, la traite négrière est omniprésente en Afrique et la découverte du nouveau monde, les Amériques, est en partie l’explication de ce système de prédation. Cette pratique esclavagiste servait aux colonisateurs de cette nouvelle région du monde à accroître leurs richesses par le développement de leurs activités agricoles et minières avec des esclaves comme main-d’œuvre. Mais un valeureux gabonais, du nom de Gaspar Yanga alias Nyanga, se révolta et devint le meneur d’une rébellion d’esclaves noirs au Mexique, devenant le premier libérateur des Amériques.

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On dit de Gaspar Yanga encore appelé Nyanga qu’il était un prince africain, le fils d’un roi indigène gabonais d’ethnie Punu vivant à priori entre les provinces de la Nyanga et de la Ngounié mais qui étaient en ces temps, des territoires rattachés au vaste royaume du Congo. Le pays Gabon n’existant pas encore officiellement. Dans tous les cas, Yanga est né le 15 mai 1545 et a été esclave jusqu’en 1570 avant de devenir le porte-parole et le bras armé de la résistance des esclaves noirs d’origine africaine en terre mexicaine.

Il fondera la ville de Yanga, ville située dans l’Etat de Veracruz, entre 1570-1609 qui est historiquement la première ville noire des Amériques. Dès 1630, Cette ville répondait au nom de « San Lorenzo de los Negros » ou « San Lorenzo Cerralvo » en hommage au vice-roi de l’époque, Rodrigo Pacheco y Osorio de Toledo, marquis de Cerralvo. En 1932, la municipalité est créée sous le nom de Yanga et devient le 22 novembre 1956, la ville de Yanga. Elle comptait 17 896 habitants en 2015.

Vie d’esclave et début de la révolte

Capturé et vendu en esclavage dans la Nouvelle-Espagne (actuel Mexique), Yanga est alors baptisé Gaspar Yanga comme il était de coutume à l’époque qu’un esclave puisse porter un prénom catholique et/ou occidental. Il travaille alors dans les plantations de canne à sucre dans la ville de Veracruz, plus grande ville de l’Etat de Veracruz dont la capitale d’Etat est Xalapa.

Une peinture de la lutte menée par Yanga et ses hommes

Ne pouvant continuer à être pris pour un sous-fifre par le colon, Yanga nourrit alors une ambition de soulèvement contre « l’occupant » mais en s’organisant méthodiquement. Il est évident pour lui que ce projet n’aboutirait que s’il mène des affrontements contre son ennemi dans un terrain où il aura l’avantage. Dans un premier temps, il prend la décision de s’enfuir avec une bande de ses compagnons « marrons » comme lui-même pour trouver un lieu où il bâtira son quartier général.

Il a lieu ici de rappeler que les marrons sont des descendants d’Africains noirs des Amériques qui ont mis en place des colonies, loin des endroits où ils étaient réduits en esclavage. Généralement, le terme « marron » s’écrivant en anglais « maroon », signifiant le fait d’être laissé pour compte sans ressources aucune ; mais, il veut aussi dire « fugitif » ou « sauvage ».

Capturés en Afrique et transportés dans des embarcations tels que les navires négriers, c’était monnaie courante à l’époque que les africains réduits en esclavage dans les Amériques prennent la fuite pour n’être plus sous le contrôle des colons (Espagnols, Portugais, Britanniques…). Certains décidèrent de survivre en fondant des colonies ; d’autres prendront attache avec les peuples autochtones résistants, tous unis contre l’occupant colonial.

Organisation de subsistance du régime de Yanga

C’est ainsi que Gaspar Yanga devint le leader d’un groupe d’esclaves. Tous s’établirent non loin de la ville de Veracruz aux environs de 1570. D’une main de maître, Yanga et ses compagnons s’échappent du domaine de leur « propriétaire » et rejoignent une zone très isolée vers les terres situées en hauteur, c’est là qu’ils mettent sur pied une petite colonie libre.

Ne pouvant se rendre dans les villes voisines occupées par les Espagnols et voulant garder le secret sur leur position géographique, Yanga et ses acolytes sont obligés d’user de ruse pour ne pas succomber à la faim et à la soif. Bien après, on saura que le territoire de Yanga était dans les chaines de montagnes entre le Coffre de Perote et le Citlaltétépetl ou Pic d’Orizaba. D’autres esclaves en fuite le rejoignent et certains hommes des castes, fugitifs de la justice.

Un épisode de "Heroes of color" dédié au célèbre gabonais

L’organisation de Yanga et de ses hommes est tellement bien pensée que les caravanes de marchandises qu’ils attaquent se retrouvent à chaque fois surprises, sans la moindre réaction possible, la plupart du temps. C’est sur la route royale (Camino Real), localisée entre Veracruz et Mexico, que les attaques des convois de denrées alimentaires et matériels en tout genre par Yanga et ses compagnons sont souvent constatées, causant de grosses pertes pour les occupants coloniaux.

En effet, pour se ravitailler en vivres et autres commodités, ils mettent en place une stratégie de pillage. Celle-ci est d’autant plus risquée que les caravanes qui transportent ces marchandises sont aussi vitales pour la ville de Veracruz qui a elle aussi besoin de ses produits de première nécessité. Cette situation très gênante pour les colonisateurs perdurera pendant plus de 30 ans. C’est durant cette période que Yanga et ses hommes se procurèrent des armes à feu et se perfectionnèrent dans le combat, apprenant pour certains les méthodes indigènes de la guerre et le maniement de certaines armes traditionnelles.

Plusieurs fois, l’administration coloniale avait tenté de démasquer la « planque » de Yanga mais n’avait pas rencontré le succès escompté. C’est ainsi que la gronde se fit sentir du côté de l’administration coloniale espagnole sur place qui plaida auprès de la métropole, la mise en place d’une opération de grande envergure pour normaliser la situation et capturer le désormais insurgé numéro 1 à abattre, Gaspar Yanga. En 1609, le gouvernement colonial espagnol décide de passer à l’offensive.

Affrontements contre l’occupant colonial

Près de 600 soldats quittent la ville de Puebla (Mexique) au cours du mois de Janvier 1609. C’est le capitaine Pedro Gonzàlez de Herrera qui est à la tête de ce cortège. Sur les 550 hommes que comptait le régiment, plus de 100 hommes étaient des soldats initiés à l’art de la guerre et le reste n’était que des volontaires et des inexpérimentés, enrôlés au service militaire. Deux aumôniers militaires seront du voyage pour réduire le nombre d’insurgés en se servant de la prédication et de la persuasion.

Un ouvrage sur le destin de Yanga

Les hommes de Yanga sont peu nombreux mais très aguerris aux affrontements. Ils sont sensiblement plus de 100 et ont pour armes, celles de type traditionnel notamment des machettes, des flèches, des arcs et autres. Ils possèdent aussi des armes à feu d’une certaine puissance de tir. Les troupes « marrons » sont sous les ordres d’un natif d’Angola, Francisco de Matosa.

Au moment de cette bataille, Yanga est très avancé en âge mais demeure le porte-drapeau de cette résistance, la première du genre à l’époque. En effet, Yanga avait dirigé pendant 30 ans ses hommes, qui étaient tous des fugitifs comme lui mais n’étant plus physiquement apte pour combattre aux côtés des siens. Il se mue en concepteur des techniques et méthodes de guerre pour causer considérablement de pertes du côté des espagnols pour les obliger à négocier. Ainsi, à cause de sa vieillesse, il avait passé le bâton de commandement sur le terrain au jeune Matossa.

Francisco de Matosa était très sanguin. Il prenait du plaisir à détruire les propriétés des colons espagnols en y mettant le feu, assassinait les hommes et capturant les femmes espagnoles. C’est de tels agissements qui poussèrent l’administration espagnole à réagir de manière cruelle. Gaspar Yanga ordonna à ses hommes de terrain de capturer un espagnol, afin qu’il serve de messager à ses confrères.
Les troupes espagnoles se rapprochaient et craignant de perdre quantitativement en vie humaine, Yanga envoya, par le biais du prisonnier espagnol, une proposition d’un accord similaire à celui qu’avait ratifiés, les Indiens et les Espagnols, c’est-à-dire l’octroi d’une zone d’autonomie par les Espagnols en échange d’un hommage et le soutien du camp de Yanga en cas d’attaques et de menaces extérieures.

Le chef Yanga proposa aussi de rendre aux « propriétaires » espagnols, les esclaves qui tenteraient de s’échapper de chez eux et qui essaieront de rejoindre son territoire. C’est une concession qui ravissait fortement les détenteurs d’esclaves de cette localité. Les Espagnols rejetèrent l’offre et engagèrent les hostilités. Les pertes furent importantes dans les deux camps. Les Espagnols s’emparèrent d’une partie du territoire de Yanga qu’ils brûlèrent mais leur victoire ne fut pas si grande.

Les hommes de Yanga se réfugièrent dans les zones environnantes, maîtrisant les alentours et les contours de cette région. Yanga ne fut pas arrêté, l’administration coloniale considéra l’expédition comme ratée. L’objectif d’essouffler la résistance de Yanga n’étant pas atteint et Yanga toujours en liberté. Les combats se répétèrent sans que les Espagnols ne parviennent à renverser Yanga. Il se résolurent à accepter de s’asseoir sur la même table que lui afin de signer un traité de paix qui prenait en considération toutes les revendications et concessions que Yanga avait émises.

Yanga réussit même à obtenir de la part des Espagnols, la gouvernance par sa famille de ce territoire qu’il défendit farouchement dans la dignité, la pugnacité et l’honneur. Il avait aussi été décidé que seul les prêtes franciscains (membres d’ordre religieux catholiques) devaient s’occuper des populations. Ce traité fut signé la même année des affrontements, soit en 1909. Mais des écrits se trouvant sur le piédestal de sa statue, dans sa partie inférieure, indiquent que l’accord a été signé le 3 octobre 1931.

Une autre version des faits

Mais une autre version de ces affrontements affirme que le 21 février 1909, des troupes espagnoles mettent hors d’état de nuire, sur la route d’Orizaba, des cavaliers de Yanga qui se dirigeaient vers une propriété de canne à sucre pour l’incendier. Plusieurs prennent la fuite en direction de leur base, ce qui provoque une panique générale et permet au capitaine Herrera de repérer et attaquer le centre névralgique du pouvoir de Yanga.

Trois colonnes d’hommes lourdement armés sont dépêchées, l’attaque est cinglante. Mais les résistants noirs se défendent du mieux qu’ils peuvent avec pierres et flèches, touchant le capitaine et les deux aumôniers sans pourtant les tuer. Les Espagnols dynamisent fortement leurs attaques et réussissent à atteindre les hauteurs de la montagne où est basée le centre de commandement de Yanga. C’est la débandade au village, les femmes et les enfants sont abandonnés par les hommes qui ont pris la poudre d’escampette à l’approche des troupes coloniales.

Le capitaine Herrera épargna les femmes et les enfants mais continua à pourchasser les hommes pour taire ce mouvement de résistance. Yanga et ses principaux « généraux » se rendirent et promirent de livrer les noirs fugitifs et de fonder une ville à condition qu’ils soient tous relaxés. Yanga s’engagea à ne pas accorder d’asile à un quelconque fugitif « marron » et encore moins aux badauds.

La ville que devait fonder Yanga devait être une chasse-gardée Espagnole leur permettant de disposer d’une zone sécurisée et stratégique en zone montagneuse dans la région de Veracruz. Yanga et ses hommes promirent aussi fidélité au roi d’Espagne, Philippe III de Habsbourg (Felipe III en espagnol).

Le vice-roi, Rodrigo Pacheco, accepta les propositions de Yanga et lui céda officiellement le territoire, situé non loin de Còrdoba. Pour cette version de l’histoire, Yanga et les Espagnols signèrent un traité de paix le 3 août 1618 après 9 ans de conflits armés entre les troupes de Yanga et les Espagnols. C’est ainsi que le territoire de Yanga devient le premier à être officiellement déclaré libre sur le continent américain.

Mort et reconnaissance

D’aucuns pensent que Gaspar Yanga serait mort en 1609 bien après avoir signé le traité de paix avec l’administration coloniale espagnole. Il avait alors 64 ans. Mais d’autres estiment qu’il serait mort bien après 1631, date officielle de la signature du traité de paix avec le vice-roi, Don Rodrigo Pacheco y Osorio de Toledo.

En 1871, cinquante ans après que le Mexique n’accède à la souveraineté internationale, Gaspar Yanga est désigné «  héros national du Mexique » et « El primer libertador de Las Americas » traduit littéralement comme « le premier libérateur des Amériques ». C’est le littérateur, Vicente Riva Palacio, par ailleurs ex général et ex maire de Mexico qui a retracé dès 1860, l’histoire de ce prince gabonais, redevenu « roi » en pays étranger, après avoir été réduit en esclavage. Il a publié une anthologie sur Yanga en 1870 et une édition plus récente sur cet illustre personnage a été publiée en 1997. Sieur Palacio a dit de Yanga et des « marrons » qu’ils étaient des hommes orgueilleux qui n’ont jamais été vaincus.

La vidéo d’hommage à Gaspar Yanga

En 1970, une statue en son honneur est érigée dans une ville mexicaine dont il est l’éponyme. L’artiste afro-américain de la Côte-Ouest, D Smoke, dans son album « Black Habits » a rendu un vibrant hommage à Gaspar Yanga en lui consacrant un titre dans lequel il collabore avec le rappeur Snoop Dogg.

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