Projet de nouvelle constitution au Gabon : Non à la consolidation de la monarchie républicaine
Dans cette tribune, l’universitaire Marc Mvé Bekale critique vigoureusement la nouvelle Constitution gabonaise, qu’il estime être un simple « rafistolage » visant à renforcer les pouvoirs déjà excessifs du président de la République. Il dénonce plusieurs articles, dont le rétablissement du septennat, qu’il considère comme un retour en arrière, et l’instauration d’un vice-président nommé par le président, qu’il qualifie de mesure « cosmétique ». L’auteur s’inquiète également du flou entourant les conditions de proclamation de l’état d’urgence, laissant craindre des dérives autoritaires. En conclusion, il appelle au rejet de cette Constitution, jugeant qu’elle perpétue un régime hyperprésidentiel propice au népotisme et au clientélisme, et contraire aux aspirations démocratiques du Gabon.
Je l’ai écrit dans trois ouvrages, Gabon : la postcolonie en débat (2003), Démocratie et mutations culturelles en Afrique noire (2005) et Lettre à la jeunesse gabonaise (2011). Depuis le premier coup d’Etat institutionnel perpétré par Léon Mba le 16 novembre 1960, le Gabon n’a connu que des régimes politiques où le président dispose des pouvoirs illimités sans véritable contre-pouvoirs. Ce qui a donné lieu à des dérives autoritaires, népotistes, despotiques ainsi que le pays en a fait l’expérience ces soixante dernières années.
Frappé d’un AVC en 2018, Ali Bongo avait perdu le contrôle de son pouvoir qui était désormais entre les mains d’un petit noyau de personnalités placées sous la férule de Sylvia Bongo et de son fils, Noureddin Bongo. Brice Clotaire Oligui Nguema et sa junte militaire ont alors décidé de mettre fin à cette situation par un putsch avant d’instituer le Comité de Transition pour la Restauration des Institutions.
Une restauration institutionnelle en trompe-l’œil
J’ai lu la nouvelle Constitution. Loin de la restauration des institutions, l’on y trouve davantage un rafistolage dont l’Esprit vise à la consolidation des pouvoirs, déjà excessifs, du Président de la République. L’Esprit de ce texte, prétendument nouveau, trahit quelque peu l’incurie des constituants gabonais, lesquels se sont montrés incapables de tirer les leçons de l’histoire. Je prends à titre d’illustration 5 articles :
Article 42 : Le Président de la République est élu pour sept (07) ans au suffrage universel direct. Il est rééligible une seule fois.
Non seulement la restauration du septennat constitue un exemple de régression institutionnelle (retour en arrière sous prétexte de la philosophie du bloc de constitutionnalité), elle comporte surtout le risque d’enlisement et de paralysie politique. La possibilité d’un double septennat n’est aucunement viable, parce qu’elle ouvre la voie à l’usure, à l’érosion du régime qui ne manquera pas de s’épuiser, perdant ses ressources créatrices et sa dynamique d’action. Le septennat sera usant et paralysant tant pour ceux qui l’exerceront que pour la population qui sera obligée de le subir. Aucune gouvernance ne peut être performante pendant quatorze années. Toutes les démocraties modernes ont compris cette loi naturelle de la vie politique.
Article 48 : Le Président de la République est assisté d’un Vice-Président de la République. Le Vice-Président de la République est nommé par le Président de la République qui met fin à ses fonctions.
Pure réforme cosmétique qui confine au ridicule. Peut-on parler de restauration lorsqu’on se contente de substituer le Premier ministre par le Vice-Président ?
Article 60 : Le Président de la République peut, lorsque les circonstances l’exigent, après consultation du Conseil des Ministres et des Bureaux de l’Assemblée nationale et du Sénat, proclamer par décret l’état d’urgence ou l’état de siège, qui lui confère des pouvoirs spéciaux, dans les conditions déterminées par la loi.
La notion de « circonstances », qui confère au Président de la République des pouvoirs spéciaux pour proclamer l’état d’urgence ou l’état de siège, est trop imprécise pour ne pas être contestée. L’état de droit pose la nécessité de préciser ces « circonstances » et non de les laisser à la discrétion du Président qui peut en user afin de persécuter ses adversaires ou à des fins politiques personnelles. Que l’on se souvienne du précédent de Léon Mba trois mois seulement après la proclamation de l’indépendance : pour contrecarrer la motion de censure que préparait l’Assemblée nationale en réponse à un remaniement ministériel à la hussarde qu’il venait de réaliser, Léon Mba déclara l’état d’alerte sur le territoire de la commune de Libreville le 16 novembre 1960 pour une durée de six mois avant de mettre aux arrêts Paul-Marie Gondjout et ses soutiens pour complot. S’ensuivit une dérive autoritaire ayant conduit au coup d’Etat de 1964. Les mêmes causes ont produit les mêmes effets en 2023. Cette Constitution condamne le Gabon à la répétition de l’histoire
Article 55 : Le Président de la République est le chef des administrations civiles et militaires. Il dispose de l’ensemble des forces de défense et de sécurité. Il nomme aux emplois civils et militaires conformément aux textes en vigueur. Les nominations à certains emplois et fonctions civils supérieurs de l’Etat sont soumises à l’avis des Présidents des deux Chambres du Parlement.
Article 66 : Le Président de la République nomme, en Conseil des Ministres, aux emplois supérieurs, civils et militaires de l’Etat, notamment les Ambassadeurs et les Envoyés extraordinaires, les Officiers supérieurs et généraux, ainsi que les Directeurs des administrations centrales et les Gouverneurs.
Le pouvoir de nomination unilatéral, sans partage (malgré la pseudo-consultation des présidents des deux chambres du parlement) dont bénéficie le président va, lui aussi, renforcer le népotisme et le clientélisme, ce que les Gabonais nomment le « kounabélisme ». Il aurait fallu que les nominations aux hautes fonctions militaires et civiles soient soumises au filtre de l’Assemblée nationale qui aurait statué par un vote sur la base des états de service, de la vérification des références, du profil moral et intellectuel des candidats.
Conclusion : la nouvelle Constitution est à rejeter car elle perpétue la tradition d’un régime hyperprésidentiel aux pouvoirs illimités et incontrôlables. Ce régime va reproduire les pathologies politiques qui ont paralysé et retardé le Gabon depuis son accession à l’indépendance.
Marc Mvé Bekale, universitaire
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