Alain Mouagouadi : « La seule chose qui m’a été reprochée, c’est que je dérangeais leur président »
Le 1er mars dernier, après une réunion avec la Ministre de la Fonction Publique, le vice-président de la confédération syndicale Dynamique Unitaire, Alain Mouagouadi, et le conseiller du président, Thierry Nkoulou, ont été enlevés en plein jour à Libreville. Ils ont été libérés nuitamment 48 heures plus tard par les services spéciaux de la présidence gabonaise. Les rédactions du Confidentiel et d’Info 241 ont recueilli le témoignage inédit d’Alain Mwagwadi, qui revient en détail sur leur enlèvement.
Dans cette affaire rocambolesque, les auteurs des faits pourtant arrêtés n’ont toujours pas été traduits en justice, encore moins présentés à l’opinion publique scandalisée par cet enlèvement de syndicalistes gabonais par des mains noires toujours tapies dans l’ombre.
M. Alain Mwagwadi, merci de répondre aux questions du Confidentiel et d’Info 241. Où et à quelle heure avez-vous été kidnappé ?
Alain Mouagouadi : Nous avons fait une communication au niveau de la guérite du ministère de la fonction publique. Je suis donc reparti à l’intérieur du ministère récupérer le véhicule que j’avais. J’ai donc aperçu un camarade qui sortait également de la même réunion que moi. Je l’ai donc embarqué. C’est aux alentours de 18h30 que les véhicules m’ont kidnappé. Ils ne se sont pas identifiés. Je ne sais pas de quel service il s’agissait. Ils m’ont demandé de me stationner. Ils m’ont donc sorti du véhicule et m’ont embarqué dans une double cabine.
Combien étaient vos ravisseurs ?
Alain Mouagouadi : Je ne peux pas exactement dire combien ils étaient, mais je crois qu’il y avait trois doubles cabines. Il y en avait une qui s’était stationnée devant où nous avons embarqué le camarade avec qui j’étais, une autre qui était juste à côté du véhicule dans lequel je conduisais. Je crois avoir pris la place de celui qui s’est embarqué dans mon véhicule.
Nous étions trois derrière et deux devant. Si on fait ce calcul, on pourrait dire qu’il y avait à peu près 15 personnes. Il y avait trois véhicules, soit 15 personnes. Je crois que c’était environ 15 personnes. Maintenant, où j’ai été détenu, je ne peux pas vous le dire car à un moment, mon visage, mes yeux étaient attachés, donc je ne pouvais pas savoir exactement toutes les personnes autour de moi.
Avez-vous établi un dialogue avec eux ?
Alain Mouagouadi : Les messieurs qui m’ont interpellé ou qui m’ont kidnappé au départ m’ont dit que j’allais rencontrer leur chef. Pendant toute mon incarcération, ma détention ou le fait qu’ils m’ont gardé, je veux dire qu’il n’y a pas eu véritablement de dialogue. La seule chose qui m’a été reprochée, c’est que je dérangeais leur président, celui qui a changé leur vie, celui qui travaillait pour eux, celui qui leur a permis de trouver du travail pour certains d’entre eux.
Il n’y avait pas du tout de dialogue, sauf pour me demander et m’arracher le téléphone, me vider les poches, essayer de savoir si j’avais un appareil sur moi. Donc il n’y a pas réellement eu de dialogue. Jusqu’à ce jour, je ne sais pas à quel service ils appartiennent et ce qu’ils voulaient. Il n’y avait aucune information. Je penserais donc que c’était un acte d’intimidation, peut-être pour m’empêcher de tenir l’Assemblée générale qui se préparait pour le samedi 2 mars.
Avez-vous une idée de l’endroit où vous étiez gardé ?
Alain Mouagouadi : Alors, le lieu où j’étais, ce que je sais, c’est qu’une fois embarqué dans le véhicule, nous avons pris la direction des Charbonnages. Ils m’ont mis une cagoule. Ça veut donc dire qu’en tout cas j’ai été détenu dans la zone des Charbonnages.
Ce que je sais également, c’est qu’à l’heure où nous étions dans le véhicule, il y a souvent un engorgement au niveau pour entrer dans les Charbonnages. Le véhicule a roulé à toute allure, on va dire entre 5 et 10 minutes avant de klaxonner. Sûrement, c’était un portail.
Nous sommes rentrés dans une concession, je suppose, et à ce moment-là, ils étaient vraiment rigoureux. Ils m’empêchaient de lever le visage pour que je ne sache pas exactement là où nous étions. Alors, quand je regarde un peu l’endroit où j’ai été libéré, c’est dans la zone du camp de Gaulle, donc je peux dire, je peux affirmer que j’ai été détenu entre les changeurs des Charbonnages et le camp de Gaulle, quelque part par là.
Donc, c’est normalement à la justice de notre pays de tirer exactement les précisions ou de nous aider à savoir exactement ce qui s’est passé ou où j’étais. Mais ce que je sais, c’est que j’étais au niveau des Charbonnages. Je connais, je vous le dirais, la concession dans laquelle j’étais, mais je préfère, pour le moment, garder cette information.
Je préfère en discuter préalablement avec mon avocat. Donc, dès que j’aurai un échange avec lui, je donnerai plus de précisions sur le lieu dans lequel j’ai été détenu.
Comment avez-vous été libéré ?
Alain Mouagouadi : Autour de 3 heures du matin, ces personnes sont revenues vers moi, me disant qu’elles voulaient en finir avec moi. Selon leur discours, c’est là où ils insistaient que nous nous prenions, disons, mes camarades et moi pour des durs à cuire et que nous empêchions leur président de travailler et qu’ils allaient en finir. Donc, quand ils m’ont fait sortir de là où j’étais détenu en me mettant une cagoule, selon leur discours, nous allions dans la zone de Malibé. C’est au cours de ces déplacements que j’ai entendu des personnes qui interpellaient le véhicule dans lequel j’étais.
Le véhicule s’est stationné et quand j’ai entendu la portière s’ouvrir, je suis donc sorti. Je me suis présenté à ces personnes-là qui se sont présentées à moi comme les agents de la direction générale des services de renseignement de la présidence de la République. Donc, ces messieurs m’ont interpellé les personnes qui conduisaient le véhicule avec qui j’étais.
Ensuite, ces agents m’ont conduit à la direction générale des services de renseignement de la présidence de la République où j’ai attendu l’arrivée du directeur général qui est arrivé autour de 9h30-10h. Je me suis entretenu avec lui. Dans notre échange, il m’a fait comprendre qu’il ne connaissait pas les personnes qui m’ont enlevé.
Ils n’étaient pas des services de sécurité ou de la défense du Gabon. Le DG des services de renseignement m’orientait beaucoup plus vers une possible action qui aurait été entreprise dans le cadre des conflits entre organisations syndicales. Je dirais qu’avec un tel dispositif, je ne vois pas les organisations syndicales avoir autant de moyens pour se lancer dans une telle action. Nous attendons toujours la suite pour savoir exactement de quoi il est question.
Avez-vous déposé plainte ?
Alain Mouagouadi : En ce qui concerne la plainte, mes camarades et moi avions pensé qu’il fallait d’abord laisser la justice faire son travail. Sauf qu’aujourd’hui, nous sommes à plus d’un mois sans aucune suite. J’ai déjà pris contact avec un avocat avec qui j’irai en consultation la semaine prochaine. À la suite de cela, mon avocat communiquera et je dirai clairement que je porterai plainte. La question c’est qu’on ne peut plus laisser cette situation comme cela.
Nous pensions que notre pays est en train de changer et que lorsqu’il y a une telle action, les autorités judiciaires devraient automatiquement se saisir du dossier. Puisque la justice ne fait pas son travail, nous allons nous autosaisir, saisir la justice plutôt, nous allons saisir la justice pour que cette histoire soit tirée au clair.
Propos recueillis par Arnaud Mbeng Edou
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