Aristide Edgar Issembe Tchango, le tout premier ambassadeur de l’histoire du Gabon
Le long et périlleux chemin qui mena le Gabon vers son accession à la souveraineté nationale fit prendre conscience aux autorités de Libreville, du faible nombre de commis et de lettrés que possédait le pays. Bien qu’ils soient peu nombreux, ces « intellectuels » locaux firent le choix de suivre des carrières technocrates afin d’être assez distant de la gestion de la cité pour ne pas s’attirer le mépris des populations qui considéraient les hommes politiques de l’époque comme les auteurs de leurs manquements sociaux et économiques. Souvent panafricanistes et soucieux du mieux-être des peuples africains, ces hommes ont su laisser une marque indélébile dans les régions où ils ont été affectés pour y travailler au compte de l’administration coloniale et plus tard de leur pays, une fois « autonome ». Aristide Edgar Issembe Tchango (1910-1997) fut un exemple d’intégrité intellectuelle et professionnelle : il s’agit du premier ambassadeur du Gabon à l’étranger.
Naissance
Aristide Edgar Issembe Tchango est né le 20 décembre 1910 à Libreville au moment où celle-ci passe sous l’autorité de Brazzaville qui devient la capitale de l’Afrique Equatoriale Française (AEF) jusqu’en 1937. Ladite ville est la capitale politique du Gabon qui à la suite de la capture d’un navire de négriers brésiliens appelé « Elisia » fut d’abord un « village » créé par des esclaves libres à proximité d’Okologo devenu le Fort-d ’Aumale puis rebaptisé Libreville à l’instar de Freetown en Sierre Leone. Edgar Issembe vient d’une famille modeste Librevilloise de l’époque appartenant à la classe moyenne.
Cursus
Aristide Edgar Issembe Tchango débute ses études à l’école primaire « Sainte-Marie » dans laquelle il est auréolé d’un Certificat d’Etudes Primaires Indigènes (CEI) ancêtre de l’actuel Certificat d’Etudes primaires (CEP). En 1925 alors qu’il n’a que 15 ans, il s’envole pour la France dans le but de poursuivre ses études dans le secondaire. En Hexagone, il s’installe sur la Côte-d’Azur au sein de la capitale du département des Alpes-Maritimes, Nice. Direction le lycée Masséna de Nice, établissement français d’enseignement secondaire et supérieur.
Aristide Edgar Issembe Tchango et Roland Michener (gouverneur général du Canada) en 1971
Il y passera sept ans et décrochera dans un premier temps, son Brevet d’Etudes du Premier Cycle puis son en 1932, il obtient son baccalauréat après avoir fait un sans faute lors de son itinéraire secondaire. Il est alors aimé et respecté de ses professeurs qui lui couvre d’éloges et admire son acharnement au travail et sa capacité de rétention.
Début de carrière administrative
Aristide Edgar Issembe Tchango s’engage dans l’administration coloniale en 1937 et devient un fonctionnaire à part entière de cette institution. Il débute au ministère des finances dans la ville de Bangui en Oubangui-Chari (capitale de l’actuelle République de Centrafrique) et y passe deux ans. En 1939, c’est le début de la Seconde Guerre Mondiale et la France se retrouve envahie par les troupes allemandes.
Le Général Charles De Gaule, depuis Londres, lance un appel à tous les résistants français car les autorités françaises de l’époque font allégeance à Hitler. Tous les citoyens français de l’époque sont donc appelés à rejoindre les forces françaises libres pour participer activement à la libération de la France. Comme la majorité des africains des territoires français d’Outre-Mer, Aristide Edgar Issembe Tchango possède la nationalité française et c’est ainsi qu’il est mobilisé et introduit au sein des forces françaises libres.
Mais l’homme est un administrateur né et un technocrate aguerri et le gouverneur général de l’AEF, Félix Eboué, le sait. C’est à juste titre qu’il est rappelé par Félix Eboué pour s’atteler à travailler au ministère des finances de Brazzaville. Il y travaille durant deux ans et se retrouve propulsé en 1941, rédacteur principal des services administratifs et financiers de Bangui. Il faut dire que l’homme y avait déjà exercé de 1937 à 1939 et connaissait donc comment fonctionner le pôle administratif des finances centrafricaines.
Un an plus, il est affecté au Tchad. Nous sommes en 1941. Après prés de quatre ans. Aristide Edgar Issembe Tchango revient à Bangui mais cette fois avec la ferme intention de se présenter aux élections législatives qui devaient se tenir en Oubangui-Chari. Il faut souligner que l’homme y est populaire et sa notoriété est très encombrante pour les autorités coloniales. Il faut ainsi le museler et l’empêcher de se présenter lors de ces législatives.
Arrestation et convictions panafricaines
Quand Aristide Edgar Issembe Tchango décide de briguer la députation en 1945 au Tchad, sa notoriété constitue une épine dérangeante pour les autorités administratives coloniales. Il est ainsi interpellé et incarcéré durant une année dans la capitale tchadienne notamment à Fort-Lamy devenue Ndjaména depuis 1973. Les faits qui lui sont reprochés font état d’un « délit d’opinion ».
En effet, l’homme est dans le viseur de l’occupant car ses prises de parole sont tranchantes et dénonciatrices. Il ne fait aucun doute que les réalités que vivaient les populations des territoires français d’Afrique étaient toutes similaires : faible rémunération des ouvriers locaux, mauvaises conditions de vie et de travail, mesures résidentielles discriminatoires, négligence et manque de considération des travailleurs noirs.
Toutes ces marginalisations sont perçues comme raciales car les européens vivant dans ces régions françaises d’Outre-Mer bénéficiaient de traitements socio-économiques diamétralement opposés à ceux des autochtones. Issembe plaidait pour la cause noire et panafricaine et partout où il lui a été donné de travailler (Oubangui-Chari, Congo et Tchad), il n’a de cesse critiquer et interpeller le colonisateur sur le respect et la considération qu’il doit porter à celui dont il fut l’hôte autrefois. Il est important de rappeler que l’homme blanc est arrivé en Afrique sans en demander l’autorisation et c’est lui qui a, par la suite, annexé nos territoires indigènes.
Face à l’accusation qui lui est reproché faisant état d’un délit d’opinion, les différentes ligues africaines des droits de l’homme hurlent leur mécontentement et fustigent la réaction de l’administration coloniale qui fait office d’acte arbitraire et autoritaire. Aristide Edgar Issembe Tchango pensait sans doute comme plusieurs panafricains en ces temps que la conviction publique, en tant qu’expression de la conscience populaire, serait le meilleur allié de la politique de résistance contre les agissements arbitraires des gouvernants. Mais la France, dans sa logique de défense nationale et d’intérêts, instaura un système de surveillance et d’encadrement de la pensée.
C’est principalement en application du décret du 1er septembre 1939 modifié par celui du 20 janvier 1940 que ces faits liés au « délit d’opinion » sont réprimés. Promulgué afin d’organiser la répression de la « publication d’informations de nature à exercer une influence fâcheuse sur l’esprit de l’armée et des populations » en temps de guerre, ces textes fournissent sous le régime de Vichy un cadre légal aux fins de contrôler l’opinion de la parole publique par l’effet des condamnations judiciaires ;le régime de Vichy était le régime politique français dirigé par Phillipe Pétain, chef du gouvernement français, au cours de la seconde guerre mondiale durant l’occupation du pays par le troisième Reich. Cette appellation a été choisie car le gouvernement de cette époque était établi dans la commune de Vichy, situé en zone libre.
Acquittement et suite de carrière administrative
Aristide Edgar Issembe Tchango côtoiera finalement les geôles de Fort-Lamy pendant un an mais il en sortit en 1946. C’est au sein du même pays qu’il reprend ses fonctions dans l’administration coloniale au services administratifs et financiers. Il y passe trois années sur place et en 1949, il rentre finalement dans son Libreville natal. Il se lance en politique et décide de grossir les rangs du Bloc Démocratique Gabonais (BDG) dirigé par Léon Mba Minko et Paul Indjendjet Gondjout.
Son choix n’est pas fortuit car le BDG est affilé au Rassemblement Démocratique Africain (RDA) qui est à l’époque une fédération de partis politiques africains fondée à l’issue du congrès de Bamako en 1946 et dont le but était d’incarner une lutte nouvelle pour l’acquisition de l’indépendance des Etats africains avec une mouvance anticolonialiste. Arrivé au Gabon, il est envoyé tour à tour à Franceville, Lastourville et Fougamou comme agent spécial de 1949 à 1956. A Fougamou, il fut adjoint au chef de district. En 1956, Aristide Issembe se présente aux élections municipales de Libreville sous la bannière du BDG et son parti remporte les élections. Il alors élu maire adjoint de l’hôtel de ville de la capitale jusqu’en 1958.
Le référendum de 1958 imposé par la métropole, portant en partie création d’une communauté franco-africaine, voit le « oui » l’emporter. Aristide Edgar Issembe Tchango a toujours fait savoir son intention d’être distant de la gestion de la cité et qu’il préférait lui être le porte-drapeau du pays à l’international. Il est alors envoyé par Léon Mba représenter le Gabon au sein de la communauté franco-africaine ; Aristide Edgar Issembe Tchango a toujours fait savoir son intention d’être distant de la gestion de la cité et qu’il préférait lui être le porte-drapeau du pays à l’international. C’est le début de sa carrière diplomatique. A la suite d’une longue et riche carrière en tant que chef de poste des missions diplomatiques gabonaises, Aristide Edgar Issembe Tchango rentre au Gabon en 1981. La même année et ce jusqu’en 1990, il devient le conseiller diplomatique et politique de, le maire de Libreville de l’époque. Il fait valoir son droit à la retraite en 1990.
Le précurseur de la diplomatie gabonaise
En 1961, le Gabon ouvre sa première représentation diplomatique permanente et celle-ci est basée à Paris. C’est la première ambassade du pays à l’étranger et c’est Aristide Edgar Issembe Tchango qui se voit nommé par Léon Mba pour occuper ce poste. C’est fort logique car l’homme a une expérience avérée de l’étranger et il s’est perfectionné dans les relations internationales surtout avec l’hexagone quand pour la communauté franco-africaine, il fut le représentant de son pays le Gabon.
Il restera l’ambassadeur du Gabon en France durant quatre ans. En 1965, il poursuit sa carrière diplomatique et devient le premier ambassadeur du Gabon aux Etats-Unis d’Amérique, le premier diplomate gabonais près de la monarchie constitutionnelle et fédérale à régime parlementaire du Canada en 1971 et le premier près de l’Organisation des Nations Unies (ONU).
Disparition
En 1997 soit sept ans après s’être retiré de la vie politique et administrative, Aristide Edgar Issembe Tchango s’éteint. Octogénaire, il avait précisément 87 ans.
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