Martial Lubin Ntoutoume Obame dit « le shérif », le rigoureux maire de Libreville
Bien avant que le Gabon n’accède à l’indépendance, Libreville était déjà la principale ville de ce pays qui était en ce temps un des territoires français d’Outre-Mer de l’Afrique équatoriale française (AEF). Capitale politique et administrative du Gabon, Libreville a longtemps été une commune gangrenée par quantité de fléaux sociaux à l’instar de l’insalubrité, de l’urbanisme anarchique ou encore de l’avènement des quartiers sous-intégrés.
Au cours des années 1970, la situation devient critique et le président de l’époque, Albert Bernard Bongo, se doit de réagir pour redorer l’image de la capitale qui est en vérité le reflet d’un pays dans son entièreté. Martial Lubin Ntoutoume Obame est propulsé à la tête de la municipalité centrale de Libreville et durant ses années de gestion, des changements profonds vont être apportés et sa rudesse managériale et opérationnelle vont hisser la capitale gabonaise au rang de ville attractive de choix.
Naissance
Communément appelé le « shérif », Martial Lubin Ntoutoume Obame voit le jour un 5 juin 1931 au sein de la ville de Libreville, ancien village créé par des esclaves vilis libérés d’un navire de type négrier de nationalité brésilienne portant le nom de « L’Elizia ». Mais, sieur Lubin Ntoutoume Obame est normalement originaire de la ville de Ntoum et est d’ethnie Fang.
Parcours scolaire
C’est à la fin des années 1930 que Martial Lubin Ntoutoume Obame débute son cursus dans une école primaire catholique où il décroche son Certificat d’études primaires élémentaires (CEPE) et par la suite, il obtient son baccalauréat au collège classique et moderne Félix Eboué (actuel lycée national Léon Mba) en 1954. La même année, il s’envole pour la France et s’inscrit à l’Institut normal des sciences commerciales de Paris aujourd’hui connue sous le nom de l’Ecole des hautes études commerciales de Paris (HEC Paris) qui est depuis bon nombre d’années, une école publique consulaire française. Il y suivra une formation diplômante.
Retour au pays et engagement politico-syndical
A la fin de sa formation bien avant 1960, Martial Lubin Ntoutoume Obame regagne sa mère patrie le Gabon et décide de se lancer dans l’activité syndicale en vue de flirter avec une carrière politique pour être un acteur majeur dans la gestion de la cité. Il milite au sein d’associations professionnelles autonomes gabonaises à l’instar du Syndicat des employés de Libreville (SEL) fondé par Félix Adande pour faire entendre les revendications des employés et ouvriers africains de l’administration coloniale française en générale et, des travailleurs locaux en particulier. Les meilleures conditions de vie et de travail constituaient les principales requêtes des leaders syndicaux gabonais comme Ntoutoume Obame.
Par ailleurs, Martial Lubin Ntoutoume Obame s’érigeait en défenseur d’intérêts professionnels communs afin que soit précisément respecté l’application du code de travail des territoires d’Outre-Mer adopté le 15 décembre 1952 garantissant un épanouissement de l’emploi pour les actifs d’Outre-Mer et protégeant tous les travailleurs, quel que soit leurs sexes ou la couleur de leurs peaux. Il devient alors le patron de plusieurs syndicats en terre gabonaise et est approché par le Bloc démocratique gabonais (BDG) de Léon Mba Minko.
Fort de ses prises de position liées à ses véhémences syndicales, Martial Lubin Ntoutoume Obame se fait remarquer par les dignitaires politiques de l’époque et prend désormais activement part, à la vie politique. Il rejoint le BDG et fait campagne pour le vote en faveur du « oui » lors du référendum constitutionnel français de 1958. Ce référendum a pour but de créer, au sein des territoires africains de France, une communauté française en autonomisant davantage la gestion administrative et politique des différentes provinces françaises d’Outre-mer notamment celles se trouvant sur le continent africain.
Le « oui » l’emporte et le Gabon se prépare alors à acquérir sa souveraineté internationale. Léon Mba, qui est déjà chef du gouvernement autonome gabonais, compose en juillet 1960 une commission de responsables politiques dans laquelle on retrouve le président du parlement durant cette année Paul Gondjout, Eugène Amogho, Pierre Avaro, Gustave Anguilet et notre cher Martial Lubin Ntoutoume Obame pour ne citer que ceux-là. Ils se rendent tous à Paris et entament des discussions qui devront fixer les jalons de l’indépendance du Gabon. Il faut souligner que lorsque la délégation s’envola pour l’Hexagone, très peu de gens voir quasiment personne ne pensait que les autorités françaises de l’époque répondraient par l’affirmative. Mais c’est bien le contraire qui arriva : la délégation gabonaise avait obtenu gain de cause.
Un an après l’accession du Gabon à la souveraineté internationale, Martial Lubin Ntoutoume Obame voit sa formation politique remporter l’élection présidentielle du 12 février 1961. Cette victoire est écrasante car Léon Mba obtient 100 % des suffrages exprimés, ce qui permet aux affidés du BDG de conforter leurs avantages socio-économiques ainsi que leurs acquis politiques. Au même moment, les premières élections législatives depuis l’indépendance sont organisées. Le BDG du président Mba et l’Union démocratique et sociale gabonaise (USDG) présentent une liste commune sous le nom de « Union nationale » et remporte sans grande surprise, les 67 sièges à pourvoir au sein du parlement.
C’est ainsi que Martial Lubin Ntoutoume Obame est nommé questeur à l’assemblée nationale, poste qu’il occupera durant deux ans. A l’époque, Lubin Ntoutoume Obame est un jeune politicien prometteur. Agé de seulement 30 ans, le président Mba qui le considère comme son fils veut faire de lui un de ses fidèles compagnons car le jeune Obame est déterminé et est d’une organisation et d’un sérieux dans ses différentes entreprises qu’elles soient politiques ou sociales.
Carrière administrative et diplomatique
Martial Lubin Ntoutoume Obame rejoint le gouvernement en 1963 et y occupe la fonction de ministre des finances. Après deux ans passés au sein de ce ministère, Lubin Ntoutoume Obame se voit confié le ministère des Travaux Publics, des Postes et des Télécommunications. L’année d’après, il est propulsé au rang de ministre d’Etat toujours en charge des Travaux Publics, des Postes et des Télécommunications.
Il demeure responsable de ce ministère jusqu’au décès du président Léon Mba en 1967. Martin Lubin Ntoutoume Obame décide après la disparition de son mentor politique, d’embrasser une carrière diplomatique. A la fin de son parcours diplomatique en 1974, il revient au Gabon et est nommé Directeur générale (DG) de l’Office National des bois du Gabon (ONBG), ancêtre de la Société nationale des bois du Gabon (SNBG) en septembre de la même année.
Martial Lubin Ntoutoume Obame débute sa carrière en diplomatie au sein de l’Organisation des Nations Unies (ONU). Ensuite, il sera tour à tour ambassadeur du Gabon près du Japon, d’Italie, d’Espagne. Il fut aussi représentant diplomatique en chef au sein de l’ambassade du Gabon aux Etats-Unis d’Amérique située dans l’Etat du Texas ; c’est à ce moment qu’il suivra une formation de tireur d’élite et qu’il fut surnommé « le shérif » en raison de son maniement des armes à feu et notamment sa maîtrise pour les revolvers. De 1972 à 1974, il est envoyé au Canada pour y diriger la représentation diplomatique de son pays au sein de ce pays d’Amérique du Nord. C’est au sein de cette monarchie constitutionnelle que prendra fin la carrière diplomatique de notre protagoniste.
Son passage à la mairie de Libreville
Avant qu’il ne soit l’édile de Libreville, Martial Lubin Ntoutoume Obame fut précédé de Léon Mba Minko de 1956 à 1966. Au cours de l’année 1966, la santé du président Mba s’aggrave et celui qui est à la fois président de la république, premier ministre et maire de Libreville se retrouve dans l’incapacité de gérer ces différentes administrations.
C’est ainsi que Jean Lassy, qui était le maire adjoint de Léon Mba, devient en 1966 le maire en chef par intérim nommé par décret présidentiel. Après la disparition du président Mba, son directeur de cabinet qui a pour nom Albert Bernard Bongo lui succède à la tête du pays. Jean Lassy continue d’assurer l’intérim de la mairie de la capitale jusqu’à la fin du mois de janvier 1967. Le 30 janvier 1967, Martial Lubin Ntoutoume Obame occupe pour la première fois le fauteuil de maire central de Libreville à la suite d’une nomination par décret présidentiel, il n’y passe que seulement 4 mois.
Jusqu’au 14 juin 1968, il est fait président d’une délégation spéciale en charge de la gestion de la mairie de la capitale. Mais au milieu des années 1970, la ville qui abrite la capitale gabonaise pose de sérieux soucis au président Bongo : l’insalubrité et l’aspect vétuste de Libreville gagne de plus en plus de terrain. Pour le président, il faut agir vite et bien en trouvant parmi ses fidèles soldats, un homme de terrain et de poigne.
Deux ans après avoir regagné son pays, Martial Lubin Ntoutoume Obame est nommé par décret présidentiel en 1976 à la tête de la mairie de Libreville, quittant ses fonctions de DG de la SNBG ; l’année d’après, il est conforté par Omar Bongo en tant qu’édile de la ville de Libreville car il devient président du conseil d’administration de la ville. Arrivé à la mairie de Libreville, le bilan qu’il dresse est sombre : naissance grandissante de quartiers défavorisés, urbanisation anarchique, insalubrité, occupation illégale de l’espace public…
Martial Lubin Ntoutoume Obame décide de se mettre au travail, il décide de clairsemer les abords de la ville ainsi que les lieux publics transformés en marchés anarchiques. Il fait déguerpir ces endroits qui ne répondent pas aux normes d’une urbanisation moderne et s’attaque à l’inquiétant problème d’insalubrité citadine. A l’instar du maire de Port-Gentil, Pierre-Claver Divoungui, Martial Lubin Ntoutoume Obame met en place des équipes municipales chargées de maintenir sa circonscription salubre en réprimandant ceux et celles qui ne se conforment pas à garder la ville propre. Celui qu’on appelle « le shérif » décide de faire régner l’ordre avec dureté et implacabilité. Martial Lubin Ntoutoume Obame s’évertua à redonner à Libreville ses lettres de noblesse et à en faire, une attraction touristique privilégiée.
L’acte le plus probant que Martial Lubin Ntoutoume Obame ait posé et qui a marqué à jamais la vie de la mairie de Libreville, c’est assurément la construction du bâtiment qui abrite actuellement l’hôtel de ville de la capitale. Anciennement localisé au lieu où se trouve le ministère de la culture, Martial Lubin Ntoutoume Obame avait pris la résolution de trouver un nouveau site à pour y faire construire le nouvel hôtel de ville car celui dans lequel il travaillait était devenu exigu.
En se mettant à dos les commerçants et les habitants qui violaient l’espace public, « le shérif » portait fièrement son pseudonyme et Libreville avait quasiment retrouvé l’aspect physique que doit revêtir la capitale politique et administrative d’un pays. Le 10 avril 1983, après six ans et trois mois de gestion municipale inédite, Martial Lubin Ntoutoume Obame est débouté de son poste d’édile de Libreville. Le travail bien fait n’était pas, à priori, du goût des plus hautes autorités du pouvoir central. Mais quoi qu’il en soit, la fin du règne du mandat de sieur Lubin Ntoutoume Obame marqua l’émergence des tares sociales telles que le grand banditisme, le braquage, l’insalubrité, la dégradation des biens publics…
Décès
C’est en région parisienne en France que décède Martial Lubin Ntoutoume Obame le 30 septembre 1988. Le disparu laisse dans l’émoi et la tristesse, une importante famille notamment sa fille Aurélie Ntoutoume Obame qui fut Secrétaire générale au ministère de l’équipement, des infrastructures et des travaux publics du Gabon, un ministère qui avait été géré par son défunt père dans les années 1960 ou encore son autre fille, la dénommée Camélia Ntoutoume Leclercq. Lorsque Ntoutoume Obame fut enlevé à l’affection des siens, il n’avait que 57 ans.
Dans la commune de Ntoum, ville de la province de l’Estuaire du Gabon, Martial Lubin Ntoutoume Obame a été fait éponyme, à titre posthume, d’un lycée du nom de Lycée Lubin Martial Ntoutoume Obame. Aussi, une artère du deuxième arrondissement de Libreville où il fut maire a été rebaptisée Avenue en son nom et a pour nom « Avenue Martial Lubin Ntoutoume Obame ».
@info241.com