Gabon post-Bongo : contribution à la refondation institutionnelle de Marc Mvé Bekalé
Dans cette tribune libre destinée aux lecteurs d’Info241, l’universitaire et écrivain Marc Mvé Bekalé apporte sa pierre à l’édifice de la refondation du Gabon post-Bongo. À l’heure où les Gabonais de tous bords fourmillent d’idées pour reconstruire le Gabon après 56 ans de règne de la famille Bongo notamment avec le futur Dialogue national d’avril prochain, les contributions de cet universitaire ne seront pas de trop. Lecture.
En 2003, parut Gabon, la postcolonie en débat . Un premier essai dans lequel j’entreprenais une analyse critique des institutions politiques héritées de la France. Les déconstruire. Telle m’a toujours semblé la voie incontournable pour s’arracher à l’emprise de la colonialité. Cette entreprise vitale se pose comme un préalable à la régénération et à l’assainissement de la vie éthique et politique du pays. La déconstruction revient à revoir en profondeur la structure institutionnelle dans laquelle sont logés les maux qui paralysent le Gabon. Mais au pays du règne jupitérien, celui d’hier et d’aujourd’hui, le pouvoir n’écoute que son propre absolutisme, fait fi de tout travail critique, réduit à un discours stérile. L’écriture et la pensée restent néanmoins une vocation. Elles n’attendent pas les putschs et autres évènements accidentels pour advenir. C’est fort d’une certaine constance et légitimité académique dans l’analyse épistémique du modèle d’Etat gabonais que je rends publique ma contribution à la refondation institutionnelle du Gabon. Celle-ci comprend quatre principales articulations : 1/la réforme de l’exécutif, 2/la réforme du Sénat et de la Cour constitutionnelle, 3/l’inscription des droits socio-économiques dans la Constitution, 4/ l’inscription du patrimoine naturel et culturel dans la Constitution.
De la nature sacrée de la Constitution
Commençons par la fameuse déclaration de Barack Obama au Ghana en 2009 : « l’Afrique n’a pas besoin d’hommes forts, elle a besoin d’institutions fortes ». Ce propos m’a toujours paru discutable car la force des institutions dépend des hommes et des femmes en charge de l’Etat. Le Sénégal nous en a donné récemment l’exemple lorsque Macky Sall a cherché à se maintenir au pouvoir par subterfuge. Les mêmes institutions qui ont neutralisé la démocratie et l’Etat de droit au Gabon sont celles qui les ont préservés au Sénégal en rappelant avec fermeté les dispositions de la Loi fondamentale. A la probité de la Cour constitutionnelle s’est ajoutée la hardiesse du peuple sénégalais qui a réagi dans la rue jusqu’aux sacrifices humains.
En soi, la Constitution est dépositaire de hautes valeurs dont s’affranchit souvent l’hyperprésident, monarque républicain que nous a légué la France. Le principal enjeu revient donc à ériger des verrous au sein de la Constitution afin de préserver sa nature de texte sacré sans laquelle la démocratie, l’Etat de droit, la République ne seraient que de vains concepts.
La souveraineté du peuple : principe directeur de la réforme institutionnelle
La Constitution gabonaise est composée de deux parties essentielles. En premier lieu, le préambule et le titre préliminaire portent sur la Déclaration universelle des droits de l’homme adoptée par l’ONU en 1948. Ces droits définissent l’être humain. S’ils sont niés, on sort du cadre de l’Etat de droit. Vient ensuite l’architecture de l’Etat républicain , définie au travers de cinq titres.
A travers le préambule et l’article 3, la Constitution sacralise le principe de la souveraineté du peuple. Or dans les faits, ce principe reste purement formel, sinon trompeur, car le peuple gabonais n’a jamais été producteur des idées et mécanismes juridiques qui encadrent la vie politique du pays. A cet égard, deux questions vont être cruciales lors du Dialogue national : quel dispositif pour que les droits énoncés dans le préambule et le titre préliminaire de la Constitution ne se réduisent plus à un simple catalogue cosmétique ? Quel mécanisme pour que la souveraineté du peuple ne confine pas à une pure rhétorique ?
Réponse : si la Constitution incarne la volonté du peuple, cette souveraineté doit être posée comme principale condition, garante des principes sur lesquels reposent la République et l’Etat de droit. Ici apparaît une autre question : que faire lorsqu’il y a faillite des principes de l’Etat de droit et de la République ?
Réponse : il faut introduire dans la Constitution de nouveaux droits à même de renforcer la souveraineté du peuple, de servir de leviers d’actions et d’instruments dissuasifs au non-respect des principes qui garantissent l’Etat de droit et républicain. Ces nouveaux droits comprennent : 1/la révocation du Président de la République par le peuple en cours de mandat, 2/l’instauration du référendum d’initiative citoyenne (RIC), 3/la compétence par les citoyens d’initier des lois, 4/la consultation préalable du peuple pour toute modification de la Constitution. Elle ne doit plus relever du jeu, souvent partisan, de l’exécutif et du parlement.
Conditions de maintien du régime présidentiel
Le régime présidentiel est fondé sur l’adhésion du peuple à la vision politique, sociétale et aux propositions économiques d’un homme ou d’une femme. Tout candidat à une élection passe donc un contrat moral avec le peuple, lequel, en le choisissant, lui accorde sa confiance. Dès lors, le Président de la République est soumis à l’Ethique de la Fonction Gouvernante (EFG), indissociable de la REDEVABILITE et de la RESPONSABILITE devant le peuple. Or la fonction présidentielle, telle que définie par la Constitution, pose un grave problème de REDEVABILITE en raison d’un exécutif bicéphale. Une fois élu, le Président devient un simple arbitre, c’est-à-dire un personnage neutre qui n’est ni redevable ni responsable de l’échec du projet pour lequel il a été élu. Pour faire diversion, il change de Premier ministre afin de corriger le tir. Or beaucoup de Premiers ministres, allant de Léon Mebiame et à Julien Nkoghe Bekale, l’ont reconnu : cette fonction est superfétatoire. Elle ne sert à rien, sinon de bouclier au monarque républicain.
En accord avec l’Ethique de la Fonction Gouvernante (EFG) , de la règle de Redevabilit é, le Président de la République doit être lui-même le Chef de gouvernement . Il sera entouré, comme aux Etats-Unis, d’un cabinet — composé d’universitaires, experts en affaires économiques, politiques, sociales, environnementales, etc. — et assisté par un gouvernement d’une quinzaine de ministres compétents chacun dans son domaine.
La révocation du Président de la République par le peuple
L’élection est un moyen de légitimation démocratique du Président de la République, dont la fonction obéit à un certain niveau de compétence et à l’Ethique de la Gouvernance. S’il arrive qu’il trompe délibérément la nation pour être élu, une procédure révocatoire (voir la constitution de l’Etat de Californie aux Etats-Unis où une telle procédure est désignée « recall » ) peut être dissuasive et prévenir des dérives à même de paralyser le pays et de compromettre durablement son développement. La formulation de l’article sur la Révocation du Président de la République est inspirée ici de la Déclaration d’indépendance américaine rédigée essentiellement par Thomas Jefferson : « Le peuple gabonais tient pour évidente la vérité suivante : l’Etat est l’organe suprême de préservation de la vie et des droits des citoyens gabonais inscrits dans la Constitution. Le gouvernement, à travers son chef, le Président de la République élu au suffrage universel direct, est placé à la tête de l’Etat par le choix démocratique du peuple à la suite d’un pacte moral fondé sur un projet de gouvernance. Chaque fois qu’un gouvernement se montrera incapable de respecter ce pacte moral, sans en expliquer les raisons, et de mener une politique délibérément nocive portant préjudice à la Nation, à L’Etat et aux droits des citoyens, le peuple sera appelé à saisir l’Assemblée nationale et le Sénat en vue d’engager une procédure de révocation d’un tel gouvernement en faillite. »
La procédure de révocation sera étudiée par un collège d’experts. Mais on peut l’envisager si 25% de la population du Gabon parvient à établir la réalité des manquements du Président au serment de préservation des droits élémentaires de la population que sont la santé, l’école, l’alimentation. Les délégués des neuf provinces se réuniront à Libreville pour présenter une motion collective au Sénat sous la supervision des Présidents des deux chambres du parlement, de 20 députés et 20 sénateurs tirés au sort devant huissier pour auditionner les porteurs de la motion et juger de la recevabilité du dossier soumis pour engager une procédure révocatoire du Président devant la Haute Cour de Justice de la République.
Réforme de La Cour constitutionnelle
Pour la garantie de son indépendance, il y a une quasi-unanimité quant à la nécessité de réviser le mode de nomination, éminemment politique, des membres de la Cour constitutionnelle. Pourquoi ne pas élargir la Cour à 12 juges, dont 9 seront élus dans les 9 provinces du Gabon afin de répondre, là aussi, au principe de la souveraineté du peuple. Des candidats ayant mené une carrière de juriste (avocat, juge, professeur de droit) seront préalablement sélectionnés par un collège de juges provinciaux et d’élus municipaux. Trois membres de la Cour peuvent être nommés respectivement par le Président de la République, de l’Assemblée nationale et du Sénat.
Réforme du Sénat
Depuis sa création, nous n’avons eu de cesse de proposer la réduction de son effectif et la modification des critères d’éligibilité des sénateurs. Certains de ces critères doivent aussi valoir pour l’élection à l’Assemblée nationale : être titulaire d’au moins une licence universitaire (Bac + 3). Avoir réalisé une œuvre sociale, communautaire, professionnelle majeure (création d’une entreprise, direction d’une associative). Maîtriser une langue gabonaise en dehors du français ou de l’anglais.
Droits socio-économiques, patrimoine naturel et culturel
Concernant l’inscription des droits socio-économiques dans la Constitution, elle vise à garantir au citoyen le minimum vital et à lui fournir des instruments juridiques pour agir en cas de défaillance de l’Etat. Quant au patrimoine naturel et culturel, il s’agit de mieux le protéger et d’en assurer l’inaliénabilité.
Marc Mvé Bekale
Universitaire, essayiste
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