Nul n’est censé ignorer que les agglomérations qui nous entourent n’ont pas toujours été celles qui sont aujourd’hui soumises à notre appréciation. L’urbanisation des villes a, elle aussi, subi une évolution certaine et des histoires souvent incroyables et rocambolesques apportent des explications concises sur la situation géographique des artères urbaines ainsi que la genèse du nom qu’elle portent. C’est principalement le deuxième point qui nous emmène à parler du très réputé Ondo Nkoulou Béyémé car l’un de ses principaux traits de caractère firent de ce fin connaisseur de la forêt et tradipraticien patenté, une figure incontournable de l’actuelle ville de Bitam, sise dans l’actuelle province du Woleu-Ntem.
Un endroit dans lequel ses ancêtres avaient élu domicile depuis des temps anciens et où il officiait en qualité de « médecin » traditionnel. Sa collaboration avec les colonisateurs français fut malheureusement une épine difficile pour lui à extirper de la plante de son pied car le puissant Béyémé ne rentra jamais en conflit avec les troupes coloniales notamment lors du soulèvement des Binzima » se déroulant entre 1907 et 1909. Plusieurs chefs de villages lui reprochèrent sa proximité avec les colons français. Toutefois, Ondo Nkoulou Béyémé fut plusieurs fois mis aux arrêts en raison de sa défiance vis-à-vis de l’administration coloniale allemande au moment de l’occupation de celle-ci entre 1911 et 1915.
C’est l’époque du « Neukamerun (Nouveau-Cameroun en français) », important territoire allemand constitué d’anciens territoires aéfiens (en référence à l’Afrique équatoriale française) cédés par la France conséquemment à la crise dite d’Agadir. Cette possession africaine des allemands était composée de la zone Nord de l’Estuaire qui était assez bien « organisée » suite à l’édification de Libreville en commune mixte dès le 3 octobre 1911. Le Neukamerun comprenait aussi le Woleu-Ntem, l’Ogooué-Ivindo dans sa partie Nord et logiquement le Cameroun. Quoi qu’il en soit, le patronyme de Ondo Nkoulou Béyémé est assurément un véritable patrimoine du septentrion gabonais et plus globalement du pays.
Présentation du personnage et de son lieu de naissance
Ondo Nkoulou Béyémé a été extirpé des entrailles de sa génitrice aux environs du milieu du 18ème siècle approximativement dans les années 1850 à l’époque où le Gabon faisait partie du gouvernement du Sénégal précisément de la colonie de « Gorée et dépendances ». Il avait pour père Nkoulou Béyémé qui était du clan « Essandone » dont les ascendants sont considérés comme les premiers habitants du site actuel abritant le centre de l’actuelle ville de Bitam en dépit du fait que d’autres villages comme « Mengang », « Agnizok » ou encore « Bitam Akuign » lui soient environnants.
Pour ce qui est de la localisation géographique précise du lieu de naissance donc du village natal de Ondo Béyémé, elle est établie juste à l’emplacement de la mairie de Bitam. Il semblerait qu’au moment où il vint au monde, le village qui fut témoin des cris suite à sa venue dans le monde des vivants ne portait aucun nom. Par la suite, il fut appelé Mézala (signifiant les armes/les fusils en français) par Ondo Nkoulou Béyémé lui-même. En effet, sûrement exténué par l’âge et soucieux de bien-être de ses parents vivant à quelques encablures du village de Libreville précisément au village Mézala, non loin de celui de Nkoltang, Nkoulou Béyémé envoya son fils Ondo Nkoulou Béyémé pour s’enquérir de la situation de ses proches. De manière pédestre, il fit le trajet durant plusieurs mois. Bienheureusement pour lui, la forêt et les différents itinéraires lui avaient été enseignés par son géniteur. En somme, « Mézala », terre natale de Ondo Nkoulou Béyémé, est le village éponyme des cousins germains de son père qu’il baptisa lui-même à son retour de voyage au courant des années 1880.
Préférence coloniale
Vers la fin du 19ème siècle, des européens français explorent pour la première fois l’actuelle province du Woleu-Ntem qui n’est alors qu’une contrée isolée dans la forêt équatoriale se trouvant bien loin des zones côtières. Bien avant leur arrivée, quelques allemands y sont déjà bien implantés. A ce moment, la région constitue avec le Sud du Cameroun et la Guinée-Equatoriale au Nord, une sorte de pays « Fang ». Tout d’abord, ce sont les échanges commerciaux qui facilitèrent le rapprochement entre autochtones et explorateurs.
Puis, au tout début du 20ème siècle, espagnols, allemands et français se partagèrent cette importante région boisée dont la fertilité du sous-sol était déjà avérée. En effet, des réorganisations territoriales vont être faites entre les allemands qui sont présents dans le Sud du Cameroun et les français se trouvant au Nord du fait de leur opposition. Ces redécoupages fut d’abord possible par le traité franco-allemand du 24 décembre 1885 grâce à plusieurs opérations et missions d’explorations ainsi que des protocoles donnant lieu à des délimitations et des démarcations.
Les coloniaux européens (américains et allemands) arrivèrent dans les territoires du Woleu-Ntem et de l’Ivindo vers 1888. Ainsi, l’on pourrait dire que la fondation du septentrion gabonais qui portera le nom de Woleu-Ntem et dont les premiers postes coloniaux furent ceux d’Oyem, de Mitzic et Bitam, remonte à 1903. Par rapport à Bitam, le très célèbre chef du village « Mezala », Ondo Nkoulou Béyémé, fut un ami de l’administration coloniale française qui lui avait fait l’honneur d’éterniser la terre de ses ancêtres en faisant d’elle, une référence territoriale dont le nom ne s’étiolera point devenant l’une des premières bases coloniales de la contrée.
Sieur Béyémé savait que « ses étangs » ne tomberont jamais dans l’oubli. Il s’obligea à toujours apporter son soutien à l’occupant suite à l’édification de Bitam en station. Ce qu’il considérait comme une réelle marque d’attention. C’est en cela que lors du « soulèvement » ou du « mouvement des Binzima » de 1907 à 1909, un groupuscule Fang anticolonialiste, il ne rompit point ses relations amicales avec les européens.
Et comme beaucoup de chefs de village de la région, il fut victime de pillages organisés par les guerriers « Binzima » qui disaient s’opposer à l’implantation coloniale. Par ailleurs en 1912, la France va céder la totalité du Woleu-Ntem à l’Allemagne en contrepartie de la mise sous protectorat du Maroc par l’Hexagone en raison d’un incident diplomatique et militaire entre lesdites puissances impérialistes. Il s’agit de la crise d’Agadir.
Pendant l’occupation allemande, Ondo Nkoulou Béyémé ne manquait pas une seule occasion pour critiquer les administrateurs allemands tout en faisant les éloges de ses « amis » français. Ces prises de position lui valurent plusieurs séjours en détention, ce qui ne l’empêcha guère de camper sur ses idées. Il balaya même d’un revers de la main une proposition de l’administration allemande ayant trait à l’éducation conventionnelle de ses enfants loin de ses terres devant se faire en au Cameroun puis en Allemagne.
Cependant, lorsque la Première Guerre Mondiale débuta en 1914, elle s’étendit jusque dans les possessions africaines européennes. Le Gabon n’en fut pas épargné. Les Alliés reprirent dès lors le Cameroun aux allemands après de violents affrontements qui durèrent environ un an et demi. Cela arriva définitivement le 20 février 1916 mais Bitam fut reprise dès 1915. Ce « retour à la normale » fut chaleureusement accueilli par Ondo Nkoulou Béyémé qui garda jusqu’au moment de sa disparition, une relation de bonne collaboration avec les administrateurs français. Le 21septembre 1909 déjà, il joua un rôle déterminant suite à la signature d’un accord actant la capitulation des insurgés autochtones du Nord du Gabon mettant un terme à la très contestée rébellion des « Binzima » du fait des pillages qu’elle organisait même au sein des terres de leurs confrères pahouins qui s’étaient rangés du côté de l’occupant.
Genèse de la ville de Bitam
Concernant la commune de Bitam, l’histoire derrière son appellation n’est pas due à une inspiration fortuite. Bien avant que cette station française ne puisse être appeler ainsi, elle n’était composée que de petits bassins d’eau formant près desquels vivait Ondo Nkoulou Béyémé. Ces étangs étaient une indication indélébile quant à la localisation du village Mezala. Au moment où les colonisateurs français, sous la houlette de Jean Weber, administrateur du département des colonies et premier responsable de la région du Woleu-Ntem, émirent le souhait d’établir des points de relais administratifs pour sceller officiellement leur présence dans le Woleu-Ntem et jusqu’aux environs de la rivière Mbam située dans le Cameroun, c’est sieur Ondo Nkoulou Béyémé qui leur offrit ses services pour mieux les guider dans l’immense forêt équatoriale qui n’avait aucun secret pour lui. En effet, il maîtrisait tous les itinéraires et se rendait régulièrement dans des villages lointains voire des régions très éloignées par la marche. Le voyage lui prenait souvent des mois, faute de moyens de locomotion inexistants à cette époque dans cette partie de la planète.
Pour le remercier suite à sa bénéfique assistance, les colonisateurs lui firent une proposition de récompense. Ondo Nkoulou Béyémé énonça alors son souhait qu’une station coloniale soit bâtie à l’endroit où il vivait tout en insistant sur le fait qu’elle devait porter le nom en rapport avec celui qui était connu par tous les autochtones de la localité mais pas que. Comme le lieu était surnommé « les étangs ou encore les sources » mais prononcé en patois « Fang » en l’occurrence « Bi tame » pluriel de « E tame », l’emplacement géographique du village « Mézala » de Ondo Nkoulou Béyémé devint alors Bitam quand il fut érigé en poste colonial ; les colonisateurs n’avaient point connaissance de cet endroit et durent le répertorier pour s’en remémorer. C’est bel et bien pour cela qu’il est considéré comme celui par qui cette circonscription administrative a été baptisée « Bitam » par l’administration coloniale en guise de sa bienveillante hospitalité. En définitive, c’est bien le poste de Bitam bâtit entre 1906 et 1907 qui représente aujourd’hui la ville de Bitam.
Un guérisseur des plus compétents
Il était de coutume en Afrique que les maux dont souffraient souvent les individus étaient rattachés au monde mystique-spirituel. Les populations indigènes africaines y croyaient dur comme fer, ce qui les emmenait à très régulièrement consulter un féticheur et/ou un guérisseur. Dans la région des « étangs » de Ondo Nkoulou Béyémé, la pratique de la médecine traditionnelle pour solutionner les multiples problèmes que rencontraient les populations voisines et lointaines était très en vogue. Digne héritier du savoir de ses aïeuls mais plus encore son père, Ondo Nkoulou Béyémé possédait le savoir de la forêt car il en connaissant les différentes écorces, arbres et feuilles servant à traiter tout genre de maladie. De l’infertilité à la fièvre en passant par les problèmes d’érection. Il était aussi connu pour ses compétences dans la conjuration de mauvais sorts et dans l’annihilation de sortilèges divers.
Conditions de sa disparition
Ondo Nkoulou Béyémé est décédé en Guinée-Equatoriale, anciennement dénommée Guinée espagnole, durant l’année 1921. En effet, cette année-là, une brutale épidémie de variole se répandra dans la région du Woleu-Ntem. C’est d’ailleurs François Coppier, administrateur colonial chargé de ladite région qui fut accusé d’avoir laissé mourir plusieurs habitants de villages pour n’avoir rien fait afin de parer la propagation de la maladie. Bien avant lui déjà, l’explorateur et administrateur colonial Georges Thomann, responsable de la région du Woleu-Ntem, provoqua la mort de plusieurs indigènes de cette zone du Gabon français.
Il réprimera dans le sang et la torture, un soulèvement contre l’occupation française qui eut lieu entre 1914 et 1915 par certains détenteurs de l’autorité traditionnelle de plusieurs clans, le très craint « mouvement des « Binzima ». Comme illustration de son sadisme, c’est bien lui qui ordonna la traque sanguinaire de Ekome Adza du clan « Nkodjé », de Oyone Mintsa du clan « Nkodjé » et la décapitation de Edzeng Zeng, tous principaux acteurs de ce mouvement contestataire. Ondo Nkoulou Béyémé a été inhumé en Guinée espagnole.
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