Gabon : Pourquoi il ne faut pas se réjouir du sort de Sylvia et Noureddin Bongo
Dans cette tribune pour les lecteurs d’Info241, le journaliste et écrivain Jocksy Andrew Ondo-Louemba met en garde contre la dérive autoritaire qui entoure la détention de Sylvia et Noureddin Bongo, accusant le pouvoir de transformer la justice en instrument de vengeance. Il estime que la transition militaire, censée restaurer la Constitution après la chute d’Ali Bongo, a au contraire instauré la peur et l’arbitraire. Pour l’auteur, se réjouir du sort de l’ancienne Première dame et de son fils revient à applaudir l’effondrement de l’État de droit : « Quand on déplume le canard, la poule doit s’inquiéter », prévient-il, rappelant que dans un pays où la loi recule, personne n’est à l’abri de devenir la prochaine victime du pouvoir. Lecture.
Au Gabon, « l’affaire Sylvia Bongo » dépasse désormais le cadre du droit. La machine étatique ne cherche plus à juger mais mets en scène une justice pour cacher une série d’actes abominables posés sur Sylvia Bongo et son fils Noureddin. Et dans cette dérive, c’est l’idée même d’un État de droit qui s’effondre et d’un monstre détenteur du pouvoir de l’Etat qui s’affirme.
Le 30 aout 2023, le jour où Brice Clotaire Oligui Nguema a renversé Ali Bongo, beaucoup de Gabonais espéraient que le Gabon deviendrait un pays plus juste. L’ancien Chef de la Garde Républicaine du Gabon avait promis de « restaurer la Constitution ». Pourtant, à peine ce serment prononcé, ce texte censé encadrer le pouvoir a été relégué au second plan. Le Comité pour la Transition et la Restauration des Institutions a concentré tous les pouvoirs, remplaçant les organes légitimes. Dès lors, le pays s’est retrouvé suspendu entre deux temps : celui du droit qu’on a détruit et celui de la peur qu’on a installé.
La Constitution gabonaise : un gadget ?
Les garanties fondamentales inscrites dans la Loi suprême du pays ne sont plus respectées :
- Article 10 : les droits de l’homme sont inviolables.
- Article 11 : la dignité et l’intégrité de chaque citoyen doivent être protégées.
- Article 12 : nul ne peut être torturé ni soumis à des traitements dégradants.
- Article 16 : nul ne peut être privé de liberté sans décision régulière.
Ces articles existent pourtant dans la Constitution du Gabon, mais plus dans la réalité. Sylvia et Noureddin Bongo ont été privés de tout ce que ces articles garantissent : le droit d’être entendus, défendus, traités avec humanité. Leur « détention » n’a jamais respecté les lois mais a plutôt reposé sur une simple volonté de domination. Ce n’est donc pas seulement leur liberté qui a été confisquée, c’est celle du pays tout entier.
La vengeance en robe de juge
Ce qui aurait dû être une procédure encadrée par la loi est devenu une punition politique. Des témoignages précis évoquent des extorsions, des violences, des privations de sommeil, des menaces, des tortures. Ces faits ont conduit à une plainte déposée en France pour torture et actes de barbarie, visant plusieurs membres de la Garde républicaine, dont deux membres de la famille de Brice Oligui Nguema par ailleurs officiers supérieurs dans la Garde Républicaine. Depuis, toutes ces personnes sont poursuivies par le pole crime contre l’humanité du tribunal judiciaire de Paris et sont bien entendu présumés innocentes.
Pourtant, cette démarche judiciaire hors du Gabon est en soi un constat accablant. Si la justice gabonaise fonctionnait, nul n’aurait eu besoin d’aller frapper à une autre porte. Le silence des magistrats et l’absence de contre-pouvoirs révèlent un pays où la peur a remplacé le droit. Et dans cet espace vide, la torture - pourtant interdite par la Constitution - devient un outil de gouvernement.
L’arbitraire n’a pas de fin
Certains s’en réjouissent. Ils voient dans la détention de Sylvia et de son fils un juste retour des choses sans toutefois se demander en quoi le martyre de Sylvia Bongo et de son fils contribue au bien etre des Gabonais. Ils pensent que la douleur des uns lave les fautes des autres sans se demander quelle destination ont pris les biens et l’argent spoliés dont le peuple n’a pas vu la couleur ! Mais c’est une illusion dangereuse. L’arbitraire, une fois libéré, ne connaît pas de frontières. L’arbitraire une fois libérée est un monstre qui a toujours faim.
Aujourd’hui, ce sont eux. Demain, ce pourrait être n’importe qui y compris Brice Oligui Nguema lui-même. Demain ce sera un syndicaliste qui sera enlevé pour avoir parlé trop fort ( comme cela a déjà été le cas sous la transition), un enseignant séquestré pour une phrase mal interprétée (comme cela est déjà arrivé également depuis le 30 aout 2023), un journaliste réduit au silence pour un article jugé dérangeant (comme l’est Harold Leckat qui a été placé en garde à vue selon un témoignage menotté sur une chaise pendant 5 jours !). Déjà, des noms circulent, des cas s’accumulent. Quand un pays applaudit la souffrance d’autrui, il creuse sa propre tombe. Là où la loi recule, chacun devient vulnérable.
La République vidée de son sens
La transition militaire promettait un nouvel ordre. Elle a, en réalité, instauré le désordre sous une autre forme. On conserve les symboles de l’État, mais on en a perdu l’esprit. On parle de morale publique, mais la morale s’efface dans les geôles. On invoque la justice, mais elle ne répond pas.
Un pouvoir qui prétend corriger les fautes d’hier sans respecter les lois d’aujourd’hui prépare les injustices de demain. Et un peuple qui s’habitue à ces écarts finit par ne plus distinguer le juste de l’injuste. Ce n’est plus seulement une crise institutionnelle : c’est une crise de conscience nationale.
Le choix ultime : la loi ou la barbarie
La torture ne se discute pas, elle se condamne. Nul mandat, nul discours, nul uniforme ne peut la légitimer. Ce que subissent Sylvia et Noureddin Bongo dépasse leur histoire personnelle : c’est la négation de ce que devrait être un pays de droit, de ce qu’est le Gabon qui a inscrit le mot « Justice » dans sa devise !
La Constitution gabonaise, dans ses articles les plus clairs, interdit la torture et la détention arbitraire. La violer, c’est trahir le peuple. L’oublier, c’est se condamner. Ceux qui célèbrent aujourd’hui la souffrance de Sylvia Bongo et de son fils Noureddin Bongo feraient bien d’y réfléchir à deux fois : dans un pays où la justice se tait, personne n’est à l’abri de devenir la prochaine victime d’un appareil grisé par une assurance de toute puissance et d’impunité.
Comme le dit ce proverbe Fang, « quand on déplume le canard, la poule doit s’inquiéter »…
Par Jocksy Andrew Ondo-Louemba
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