L’invité de la rédaction

Privat Ngomo : « La France et son bras armé la Françafrique détiennent notre souveraineté depuis plus d’un demi-siècle »

Privat Ngomo : « La France et son bras armé la Françafrique détiennent notre souveraineté depuis plus d’un demi-siècle »
Privat Ngomo : « La France et son bras armé la Françafrique détiennent notre souveraineté depuis plus d’un demi-siècle » © 2020 D.R./Info241

Quelques jours seulement après avoir annoncé la création du mouvement panafricaniste NewPower, la rédaction d’Info241 a rencontré pour vous à Libreville son leader Privat Ngomo. Il revient notamment sur les raisons de la naissance de ce mouvement politique et associatif qui se veut international mais aussi sur la situation des anciennes colonies françaises dont le Gabon, victimes de la « France officielle et des réseaux » (françafrique) qui briderait insidieusement depuis les « indépendances » leur souveraineté tant politique qu’économique. Entretien.

Moov Africa

Vous avez été interpellé le vendredi 12 juillet 2019 à Libreville pour avoir manifesté devant l’ambassade de France lors de l’opération que vous avez baptisée « Lumumba ». Devant la représentation française, vous aviez lu un discours dans lequel vous demandiez à l’ancienne puissance coloniale de reconnaître la victoire de l’opposant Jean Ping à l’élection présidentielle d’août 2016. À l’issue de cette initiative, vous avez été jeté en prison avant d’être libéré 10 mois plus tard, le 20 mai 2020.

Revenons sur cette incarcération qui a fait couler beaucoup d’encre. Que s’est-il réellement passé ce jour-là ? Quelles étaient les charges retenues contre vous par la justice gabonaise ? Ont-elles été abandonnées ?

Privat Ngomo : L’opération Lumumba a été diffusée le 12 juillet 2019 en direct sur le réseau social Facebook. Une vidéo montée et publiée le 22 juillet de la même année est très claire et montre ce qui s’est passé. Je ne pourrai être plus explicite. Toutefois, cette vidéo circule encore sur le net et toute personne désireuse de savoir ce que nous avons fait avec quelques jeunes Gabonais courageux et déterminés, et ce que j’ai dit ce jour-là, peut toujours la visionner. Et si vous, madame la journaliste, ne l’avez pas encore vue, je vous invite aimablement à le faire.

S’agissant des charges retenues contre moi par la justice gabonaise, vous me permettrez, car l’affaire est toujours pendante et que je suis en liberté provisoire, d’observer une réserve comme me le recommandent les conseils avisés de mes avocats.

Toutefois, je voudrai faire une petite observation sur votre préambule, qui n’a relevé que les aspects nationaux de mon propos ce jour-là, alors que l’objet principal de mon message portait sur la dénonciation claire de la politique française en Afrique via son bras armé la Françafrique.

Après 10 mois et 8 jours passés à la prison centrale de Libreville pour vos idées politiques, croyez-vous encore à la justice gabonaise ? Avec votre nouveau parti, pensez-vous réellement pouvoir changer les choses pour un Gabon plus démocratique et souverain ?

Privat Ngomo : Madame, il n’est jamais pertinent d’essentialiser ou de globaliser en mettant tout le monde dans le même sac. Dans la justice gabonaise, je distingue les bons magistrats et les hommes de loi véreux et corrompus dont l’action discrédite toute la justice gabonaise. Comme dans la quasi-totalité des secteurs d’activités de notre pays, il y a des réformes à faire dans le domaine de la Justice. Il faut que la Justice de notre pays soit totalement indépendante, afin que les magistrats ne puissent dire que la loi et rien que la loi. Ce sera plus épanouissant et plus honorable pour eux et pour leur profession. C’est du moins mon sentiment.

S’agissant du NewPower, ce n’est pas un parti comme vous le dites, mais un mouvement associatif, politique et international. Il est associatif car il s’adresse aux Gabonais qui se tiennent loin du milieu politique et préfèrent traiter des thématiques socio-économiques et culturelles de la nation dans le cadre des associations ou des ONGs. Il est politique, pour ceux qui veulent s’engager en politique et participer à un changement profond du pays. Enfin, il est international car il est panafricaniste en embrassant une cause internationale, et le panafricanisme est la réunion des fils et filles de l’Afrique quels que soient leurs pays pour atteindre un idéal commun.

Notre mouvement entend bien changer les choses. Rien que par son nom : NewPower, ou Nouveau pouvoir en français. Notre mouvement est tout un programme qui milite pour un nouveau Gabon, bâti par une nouvelle classe politique, avec de nouvelles méthodes de gouvernance pour l’érection de la Nouvelle République. Nous allons installer un nouveau paradigme c’est-à-dire d’autres références, d’autres méthodes et d’autres pratiques qui rendront le Gabon réellement souverain et démocratique. C’est cela la Nouvelle République à laquelle aspirent tous les Gabonaises et tous les Gabonais que le NewPower veut établir au Gabon.

Quelques mois seulement après votre sortie de prison, vous avez annoncé avoir créé votre propre mouvement NewPower. Pouvez-vous nous présenter ce nouveau mouvement qui se dit panafricain et qui se lance clairement aux trousses de la françafrique et contre les nombreuses ingérences françaises en Afrique ?

Privat Ngomo : Le NewPower ne se lance pas aux trousses de la Françafrique, madame, mais dénonce ouvertement ses agissements opérés dans l’obscurité. Avant de le présenter, je voudrais vous expliquer pourquoi nous l’avons créé.

Au Gabon, et c’est vrai dans toute l’Afrique centrale, nous observons un paradoxe inadmissible où, un pays extrêmement riche comme le Gabon, car nous avons des bois précieux, une terre arable à 80%, une forêt équatoriale nous garantissant des puits de carbone énormes, une biodiversité riche grâce à un environnement formidable, du pétrole, du gaz, du manganèse, du cuivre, de la bauxite, de l’or, du diamant, du cobalt, du coltan, des terres rares qui sont des métaux très précieux utilisés dans la fabrication des smartphones et autres outils de l’information et de la communication, etc.

La liste est immensément longue, mais dans le même temps, nous avons une population très précarisée, dont la majorité vit sous le seuil de pauvreté et où ses besoins élémentaires (se nourrir, s’éduquer, se former, se soigner, être en sécurité chez soi) ne sont pas satisfaits. Notre pays est sans infrastructure conséquente, sous-développé, disons-le sans langue de bois. Ce constat amer et accablant, nous l’avons tous fait et je ne vous apprends rien.

La bonne question est donc pourquoi un tel paradoxe, qui pour notre mouvement est proprement inadmissible ? Est-ce les Gabonais qui sont tous bêtes, stupides, idiots et ne pouvant pas, avec leur simple intelligence, construire leur pays en exploitant toutes les richesses nationales pour le bonheur des populations ou bien existe-t-il une cause exogène ? Est-ce la faute de nos dirigeants ? Sans aucun doute, ils ont leur part de responsabilité indéniable dans la situation actuelle que traverse notre pays. Ils ont, en effet, la lourde charge, la préoccupation du bien-être et du mieux-vivre du peuple qu’ils administrent. Mais sont-ils les uniques responsables ?

A la lumière de nos recherches et de l’analyse que nous faisons de cette cruciale problématique, nous sommes désormais convaincus que non. Car, en observant tous les pays africains de l’espace francophone, ils présentent tous la même carte visible du sous-développement. On ne peut croire raisonnablement que tous les peuples des 14 ou 15 Etats africains qui ont en partage le Franc CFA, sont tous incapables de construire leurs pays malgré leurs immenses ressources naturelles, et de bien redistribuer cette richesse nationale.

Nous, au NewPower, pensons que la cause principale est surtout exogène et je vais à présent m’en expliquer. Quelle différence existe-t-il entre le Vietnam ou la Thaïlande et notre pays le Gabon ? Ces deux pays asiatiques présentaient la même situation de sous-développement à l’issue de la seconde guerre mondiale. Eh bien, la différence porte sur le fait qu’ils sont, depuis les années d’après-guerre, devenus souverains sur les plans politique, monétaire et économique. A l’inverse, la politique françafricaine établie depuis l’année 1960 en Afrique francophone a permis l’installation d’un système de prédation des richesses de notre pays, d’enrichissement d’une part des multinationales françaises et étrangères, et d’autre part d’une petite élite corrompue gabonaise au détriment de toute la population.

En conclusion, il y a des causes endogènes liées à nos dirigeants et des causes exogènes imputables à la politique de la France en Afrique. Sur la base de ce que je viens de dire, vous comprenez aisément que nous avons pris nos responsabilités le 20 août 2020 à Libreville, en créant le mouvement associatif, politique et international NewPower que je vais maintenant vous présenter.

The NewPower est un mouvement foncièrement souverainiste car nous sommes attachés à notre souveraineté, à notre indépendance. Nous voulons décider de l’avenir de notre pays et être les maîtres de notre propre destin. Nous luttons donc pour que le Gabon retrouve sa pleine et entière souveraineté. Cela, afin de décider en toute indépendance de notre politique monétaire, économique, sociale et culturelle pour sortir du sous-développement dans lequel nous sommes englués depuis plus de 60 ans.

Mais comme c’est la France officielle et des réseaux avec son bras armé la Françafrique qui détiennent notre souveraineté depuis plus d’un demi-siècle, nous devons être ouvertement anti-françafricains pour les combattre et leur arracher notre souveraineté détenue captive bien trop longtemps. Et comme, la Françafrique est une pieuvre aux multiples tentacules déployés dans tout le pré-carré français d’Afrique francophone, nous devons unir tous les fils et filles d’Afrique pour affronter et vaincre cet ennemi commun.

Aucun micro-état africain, voulu ainsi par la France, n’y arrivera seul. Divisés, nous n’arriverons à rien comme ces 60 dernières années. Il nous faut être fondamentalement panafricanistes. En effet, le NewPower s’inscrit dans la dynamique panafricaniste qui fleurit actuellement dans toute l’Afrique francophone où de plus en plus de mouvements panafricains naissent car la nouvelle génération africaine décomplexée, compétente, consciente et agissante a compris que la Françafrique qui sévit dans tous nos pays doit être combattue à l’unisson en établissant un rapport de force conséquent pour la vaincre.

Mais le panafricanisme ne date pas d’aujourd’hui, il naît dans les Caraïbes pour l’abolition de l’esclavage. Et nous avons le bel exemple de Saint-Domingue devenue Haïti, qui prit son indépendance le 1er janvier 1804, grâce au combat initié par les nègres-marrons de toutes origines africaines qui eurent une réunion de nuit appelée Bois-Caïman présidée par le célèbre nègre-marron Bookman, le 14 août 1791. Cet instrument efficace parvenu en Afrique a été combattu par l’impérialisme occidental qui a déstabilisé ou éliminé tous ses leaders à l’instar de Kwame Nkrumah, Patrice Lumumba, Modibo Kéita, Barthélemy Boganda, Ahmed Sékou Touré, et la liste est très longue. Mais le mouvement panafricaniste renaît aujourd’hui, et il est porté par une nouvelle génération consciente qui entend mener à terme sa noble ambition, qui est la renaissance africaine consacrée par un Etat fédéral continental.

En 2023 aura lieu une nouvelle élection présidentielle au Gabon. Quels enseignements avez-vous tirés de celle de 2016 où vous réclamiez la reconnaissance de Jean Ping ? 2023 sera-t-elle une échéance particulière pour vous et votre mouvement ?

Privat Ngomo : En 2016, le peuple gabonais a clairement exprimé sa volonté qui s’est portée à la grande majorité du suffrage sur le candidat élu, Jean Ping. Ali Bongo Ondimba et la France officielle et des réseaux, qui le soutient, n’ont pas voulu respecter la volonté populaire. Il y a eu un hold-up militaro-électoral doublé d’un horrible massacre comme on n’en avait jamais vu au Gabon. Depuis 4 ans maintenant, la Résistance gabonaise à l’étranger poste sur les réseaux sociaux des images sanglantes de ces terribles jours afin que nul n’oublie nos martyrs.

L’année 2023 est certes une échéance importante dans le calendrier électoral du Gabon, cependant participer aux élections présidentielles dans les conditions politiques et constitutionnelles qui prévalent depuis 1960 ne servirait à rien et serait un éternel recommencement car le vainqueur est déjà connu par la France officielle et des réseaux. Aucun intérêt donc ! Pour le mouvement NewPower, le combat est ailleurs, celui de recouvrer notre souveraineté pleine et entière. Nous sommes conscients des enjeux géostratégiques de la France officielle et des réseaux et de son besoin impérieux des richesses du sous-sol gabonais.

Mais cela ne doit plus se faire au grand détriment de la population gabonaise qui croupit dans la misère. La France officielle et des réseaux n’hésite pas à avilir et appauvrir les peuples africains pour satisfaire les besoins de sa population et maintenir son train de vie. Le NewPower entend aussi se battre pour que le peuple gabonais puisse jouir d’un niveau de vie décent. C’est le combat que nous mènerons quitte à engager un rapport de force.

Le peuple gabonais doit pouvoir voter en ayant la certitude que son vote sera pris en compte sans fraude et effusion de sang comme cela se passe dans toutes les démocraties du monde. Que la France se prétende publiquement une grande démocratie donneuse de leçons et soutienne secrètement les dictatures africaines pour piller les immenses richesses de nos pays tout en les empêchant de devenir à leur tour de vraies démocraties, n’est plus acceptable aujourd’hui car la nouvelle génération africaine décomplexée, compétente, consciente et agissante n’aura ni la patience, ni la naïveté de l’ancienne génération qui a cru aux idéaux démocratiques et universels de la France et n’a pas vu le double jeu français. C’est pour l’heure, le combat important et crucial que nous menons. Les résultats acquis sur le terrain détermineront notre position personnelle et celle de notre mouvement quant à l’échéance de l’élection présidentielle d’août 2023.

Quels rapports entretiendra votre mouvement avec les partis et forces de l’opposition et de la majorité ? Où se classera le NewPower parmi ces différents bords politiques de notre pays ?

Privat Ngomo : Le NewPower est un mouvement souverainiste, anti-françafricain et panafricaniste. Nous entendons évoluer dans l’espace politique en respectant notre idéologie et en la promouvant auprès des populations gabonaises et surtout auprès des jeunes qui doivent se saisir de cette formidable opportunité de faire de la politique différemment avec un discours franc, honnête et sans langue de bois.

Le NewPower entend agir en politique autrement car il veut l’avènement d’un nouveau paradigme sur lequel sera assise la Nouvelle République gabonaise, réellement souveraine et démocratique. Nous serons donc alliés aux partis qui partagent nos convictions politiques de souveraineté, ou de lutte anti-françafricaine ou de panafricanisme.

Contre la Françafrique et les ingérences françaises en Afrique, quelles seront vos actions pour mettre fin à ces agissements qui ne profitent pas à l’intérêt supérieur des nations africaines ?

Privat Ngomo : Nos actions seront diverses et circonstanciées. Parce que notre combat est panafricaniste, il nous oblige à travailler avec les autres mouvements panafricains et souverainistes pour établir un rapport de force conséquent contre la pieuvre françafricaine. Nous soutiendrons tous les mouvements panafricanistes existants et à venir, mais également tous les peuples africains qui veulent s’auto-déterminer et s’affranchir de la tutelle impérialiste néocoloniale française. Nous entendons également dénoncer systématiquement les actions publiques ou secrètes de la France officielle et des réseaux qui instruit la Françafrique par ses relais officieux ou officiels.

Vous avez dit lors d’une interview que chaque génération a son combat. Quel est le combat de la vôtre ? Pensez-vous pouvoir y parvenir ?

Privat Ngomo : Madame, le psychiatre et écrivain martiniquais Ibrahim Frantz Fanon, disait, je cite : "Chaque génération doit, dans une relative opacité, découvrir sa mission, la remplir ou la trahir", fin de citation. Notre combat est celui que nos pères n’ont pas pu, ou ont refusé de mener : le recouvrement plein et entier de notre souveraineté. Comme les nègres-marrons ont réussi à se défaire de l’esclavage après 4 siècles de lutte, nous parviendrons à la souveraineté de notre pays avant la fin de cette décennie.

Le mouvement NewPower combattra pour que chaque année qui nous sépare de 2030 soit une année où nous recouvrons pan après pan notre souveraineté captive depuis l’abolition de l’esclavage. Si les nègres-marrons ont réussi, nous réussirons aussi car le contexte mondial, la globalisation des échanges, les possibilités de communication et une population africaine de plus en plus conscientes ont des conditions favorables à la réalisation de notre auto-détermination. Le temps de la renaissance africaine est arrivé et cette décennie sera la nôtre, celle de l’Afrique et nous ne raterons pas cet important rendez-vous.

Propos recueillis par BBO

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